Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
3 janvier 2009 6 03 /01 /janvier /2009 05:59


Le livre :

Pierre et Gérard sont des jeunes hommes de 17 ans, des cousins qui vivent ensemble à Paris, depuis que leurs pères respectifs ont décidé qu'il en serait mieux ainsi.  Dès leur cohabitation, les deux garçons s'épient, se jaugent, s'observent sans que l'un ne sache ce qui anime réellement l'autre. Jusqu'à cet été où Gérard buche sur son bac qu'il a râté en juin, et que Pierre lui apporte son aide. Malgré les jeunes du voisinage, les deux garçons se préfèrent seuls, tous les deux. C'est un après midi au bord d'une rivière que Pierre et Gérard oseront s'embrasser et s'avouer enfin leurs sentiments. Dès lors, l'été se passe dans cet amour à cacher à leurs pères, où la jalousie, la peur les enivrent ...

Ce que j'en ai pensé :

Eric Jourdan a environ 16 ans lorsqu'il écrit Les Mauvais Anges, publié en 1955, il sera très vite interdit par la commission du Livre pour outrage aux bonnes moeurs.

Je peux vous assurer que dans ce livre, rien de vulgaire, rien de choquant, sauf si bien sûr les amours homosexuelles vous posent un problème, alors, oui, ne l'ouvrez pas, ne lisez pas ce livre, vous vous rendriez bien vite compte, que Les Mauvais Anges est dangereux pour vos pensées bien établies, bien stéréotypées.

Les Mauvais Anges, c'est le récit de leur propre histoire par Pierre, puis par Gérard.

Il est difficile de définir Pierre. Il est sensuel, aimant, mais aussi jaloux, possessif et violent dans son amour. Immédiatement attiré par ce cousin qui le jauge, il se tient cependant sur ses gardes. Pierre est dans l'instant de sa relation avec Gérard. Chacun de leur pas est un pas de plus dans l'été de leur histoire, chacun de leur pas le renvoie à des moments de leur passé commun. Pierre se souvient de gestes, des premiers gestes de Gérard à son égard, comme ce premier soir où ce dernier est venu éteindre la lumière du côté de sa partie de chambre. Il se rappelle du nombre de fois où il a attendu, espéré un geste de ce cousin, lui laissant signifier qu'ils avaient les mêmes inclinaisons l'un envers l'autre. Il aura fallu attendre l'été de leur dix-sept ans, un après midi suffisamment chaud pour qu'ils s'étendent à l'ombre d'un bosquet au bord d'un lac, qu'ils préféraient appeler rivière. Il aura fallu que Gérard s'endorme et que Pierre puisse se repaître par le regard de la beauté sensuelle et enivrante de son cousin. Il aura fallu que Gérard, dans son rêve, enlace Pierre pour que les deux garçons osent s'embrasser. Je suppose que c'était une
première pour Pierre. Son premier homme, son premier amour. Il aime Gérard, il voudrait être tout le temps avec lui, déjoué les vigilances paternelles, le temps, la société. Pourtant, Pierre a besoin de mesurer l'amour que lui porte Gérard, comme si cela se pouvait, mesurer un amour. Alors, quand ce dernier se montre trop distant, ou trop frivole, Pierre le punit dans leur jeu d'amour, il le bat, il le fouette.  Pierre éprouve les sentiments de Gérard en le testant, en épiant ces réactions, en le surveillant. Ce genre d'amour jaloux, possessif et dominatif donne l'impression d'un danger permanent, d'un danger qui ferait que l'on peut perdre l'autre à chaque instant, à chaque fois qu'un rival pose les yeux sur l'être aimé, qui donnerait une impossibilité de vivre dans la sérénité. Pierre gère ses angoisses en punissant Gérard, car il s'agit là de punition. Il ne se rend pas compte qu'il asservit son cousin à ses envies, que ce dernier accepte tous ses jeux parce qu'il l'aime. Pierre est dans l'innocence de l'amour, il est probable qu'il ne se rende pas compte des conséquences que peuvent avoir ses exigences, ses coups.
Pierre a conscience que Gérard l'aime d'un amour absolu, presque divin. Plusieurs fois, il aura dû sauver son cousin, trop différent dans la société, trop sexuel sans doute aussi, trop à l'écart. Il y a ces jeunes, leurs voisins de campagne et de vacances, qui n'acceptent Gérard que parce qu'il est le cousin de Pierre et qui pourtant, rêvent de s'envoyer en l'air avec lui. Gérard, on couche avec lui, on ne l'aime pas. Mais Pierre aime Gérard, et souffre non pas de l'amour absolu de ce dernier, mais de sa frivolité sexuelle, car Pierre sait que si Gérard lui est acquis sentimentalement, ce n'est pas le cas physiquement. Il le sait, il le sent.
Pierre a aussi conscience de la violence des sentiments de Gérard, la violence morale, intérieur, qui n'a rien à voir avec la violence physique de Pierre. Il comprend très vite que Gérard pourrait mourir par amour pour lui, alors que lui se doute, qu'il fait parti des gens qui ne meurent pas d'un chagrin d'amour mais qui vivent avec son souvenir.
Un jour, leur histoire arrive aux oreilles de leurs pères, la jalousie de leurs voisins aura fait le reste. Les deux garçons apprenant qu'ils ne finiront pas l'été ensemble dans cette propriété, l'un forcé d'aller dans une boite à bachoter, l'autre allant avec sa cousine en Italie, les deux cousins attendent le départ de leurs pères, partis régler à Paris les détails de leurs décisions, pour façonner les plans d'une fugue.
Le récit de Pierre s'achève sur des mots terribles "
Notre amour est un amour nocturne, sa nuit est une nuit trop longue et j'aime trop Gérard. Mon Dieu, je voudrais mourir !".
La manière de voir et de vivre les choses chez Pierre laissent présager du tragique de la situation à venir. La violence de leur amour ne pouvant qu'exploser.


Gérard. Il est désinvolte, une sorte d'ange démoniaque. Il m'a semblé qu'il serait une sorte de personne que nous ne voudrions pas forcément fréquenter mais par qui nous serions irrésistiblement attiré. Je dis "que nous ne voudrions pas forcément fréquenter", en imaginant qu'il serait homme à faire faire des folies, à réveiller en nous des démons dont nous chercherions absolument à faire taire les frémissements. C'est de cette manière que j'ai imaginé Gérard, un danger humain pour qui ne voudrait pas s'assumer, pour qui la société n'est que barrière, obstacle, case, pour qui la société possède des règles qu'il faut veiller à ne jamais transgresser même si nous en mourrions d'envie. Gérard est une menace pour les bien pensants, ceux qui veulent faire la loi. Il est l'homme à battre, celui que nous voudrions soumettre. Il est aussi celui pour qui nous n'oserions jamais avouer que nous avons a un penchant.

Gérard, j'ai aimé sa tendresse, son absolu, sa folie.  C'est un peu comme s'il avait ce grain de folie qui rend chaque journée unique, mais aussi, qui fait que la peur n'est rien, car demain n'existe pas, ou si peu en fait.
La manière dont il a vécu son amour avec Pierre, est complètement différente du réçit de Pierre. Nous ne sommes plus dans l'innocence, nous avons le choc des mots, des situations. Il n'y a plus ce côté presque "édulcoré" du cousin. Gérard est la vie, le désir, le désir de l'autre. Gérard ne vit que parce qu'il y a le regard de Pierre sur lui, que parce qu'il y a l'envie qu'il a dû sentir, parce que chez Pierre, il y a ce regard différent, ce regard d'amour et non de simple "baise". C'est sans doute aussi pourquoi il ne peut pas concevoir sa vie sans Pierre, que si ce dernier mourait, il mourrait aussi.

Nous découvrons dans le récit de Gérard les raisons de la violence de Pierre, la raison des coups dans les jeux de l'amour. Nous apprenons que Gérard a eu un flirt avec l'un des voisins, nous apprenons aussi, plus tard qu'il a été violé et violenté par toute la bande des voisins, ce que Pierre avait deviné, mais que Gérard n'avait jamais voulu avoué. Il sait qu'il plaît. La sensualité, le charnel lui font perdre la tête, de la même manière que son propre charme, sa propre existence sexuelle font perdre la tête aux hommes autour de lui, mais son coeur reste entièrement tourné vers Pierre.
C'est à la fin du récit que nous comprenons combien Gérard a laissé à Pierre tout le loisir de se rassasier de son corps, de s'en nourir, de s'en abreuver, il l'a laissé le dominer, il l'a laissé le prendre inlassablement. C'est à la fin aussi que nous comprenons combien, dans cet abandon, Gérard a aussi souffert, de cette soumission incomprise de l'autre, des coups sûrement injustes de cet autre tant aimé. Car, le dernier accès de colère de Pierre entrainera l'unique accès de colère de Gérard qui leur sera fatal. A s'être trop soumis, Gérard va laisser sortir sa souffrance, va rendre à Pierre chacun des coups que celui-ci lui aura donné, et va, à son tour, le faire sien, pour lui montrer ce que c'est, lui montrer ce qu'il a accepté de sa part, lui montrer combien son amour pour lui vaut plus que sa propre souffrance; lui montrer combien Pierre a fait de lui un esclave volontaire de son propre amour.
Cet accès sera fatale à Pierre, et Gérard ne souffrant d'avoir tué celui qu'il aime, choisira de mourir à son tour, avec cet aimé.

C'est un des plus beaux livres que j'ai lu, à tout point de vue. J'ai lu ce livre en voyant le film de ces mots.

Merci à Jean Yves de me l'avoir offert.



Citations :

- Il me serrait toujours lorsqu'il ouvrit les yeux, et avant que le réveil ne lui rendît la mémoire, j'eux droit au sourire d'un visage que je ne connaissais pas ... Mon cousin montrait aux autres une figure romantique et sournoise, dont le charme agissait dès qu'on lui avait dérobé un regard. J'étais pourtant le seul à connaître le vrai Gérard. Souvent je lui avais pris la tête lorsqu'on luttait, et la renversant en pleine lumière, je l'avais forcé à me montrer ses prunelles, jaunes, tachetées de vert et de brun. Et chaque fois, pour ne pas m'y perdre, je la relâchais.

- A quoi aurait-il servi de découvrir plus vite que nous nous aimions si notre coeur avait voulu s'abuser ? Il fallait ces moments troubles, ces désirs inavoués, ces plaisirs solitaires en pensant à l'autre, ces bagarres physiques que nous ne comprenions pas, pour que le premier baiser près de l'étang fût le premier baiser du monde.

- Nous restâmes un temps immobiles après le plaisir ; j'enlaçais Gérard et, lentement, je le caressai. Je me croyais parti à l'aventure, dans l'océan du ciel, le lit pour vaisseau, et ce beau garçon nu couché près de moi devait me faire chavirer. Il se retournait sans cesse, sa hanche se frottant à ma paume. Ma main ne finissait pas d'épuiser la douceur de cette peau résistant à ma chair, et aussi appelant la prise, et plus que la prise la morsure, et plus que celle-ci le coup qui romprait par sa domination l'orgueilleuse beauté d'un corps qui possédait de lui-même toutes les formes du désir, le toucher et la vue. Et l'ultime possession, l'idée d'entrer dans un corps ne signifiait rien que l'impuissance à être l'autre. Je ne voulais pas seulement pénétrer en lui, je voulais le dévorer idéalement ; m'emparer de lui, être dans sa peau ne changeait rien au recommencement infini de nos caresses. Nous restions silencieux, le simple effleurement de son épaule me faisait bander. Mille fois je passais la bouche sur son oreille, mille fois ma joue se caressait aux cheveux de sa nuque, ma main descendait le long de son dos, mon sang s'arrêtait, mille fois je touchais un corps différent.

- Je tendais vers le bonheur des bras incapables de l'embrasser, aussi mon amour se passait de bonheur. Cette impuissance avait sa source dans le romantisme où je me plongeais, et lorsque j'en compris la vanité, il était trop tard, je vivais un mythe dont le dédale conduisait à la mort. Avec un peu de diplomatie, nous eussions pu demeurer près des nôtres et les années auraient apporté à notre vie le grand jour des liaisons reconnues par le temps, mais je n'aimais que l'absolu et nous fondâmes sur l'exil.



Le regard de Jean Yves sur Les Mauvais Anges.


Partager cet article
Repost0

commentaires

H
Intéressant! Me fait penser à mon meilleur ami CHRIS qui est homo et aime un homme sans vivre avec lui. Leurs relations sont compliquées par moments! L'un prévoit, est jaloux et possessif, CHRIS est dans l'instant! :0010:
Répondre
C
<br /> hum, c'est un livre formidable !!!<br /> <br /> :0010:<br /> <br /> <br />
Q
j'ai mis la reponse, oui la photo 2...il y a une gagnante<br /> Bonne journée du lundi amitiés de canton<br /> Qing et rene<br /> A bientôt sur: http://belgique-chine.over-blog.com<br /> La Chine hors des sentiers battus, par le tourisme.
Répondre
C
<br /> rha pour la photo, mais pour le reste je dois avoir tout faux lol<br /> <br /> je vais aller voir cela<br /> <br /> bisous<br /> <br /> <br />
:
l'Amour entre gens de même sexe ne me gène nullement, c'est pas mon goût, mais je comprends et n'en fait pas une montagne. C'est pas d'aujourd'hui que cela existe regardons dans l'antiquité et c'est maintenant que des gens biens pensants en font tout un plat, alors que si on regarde bien, les mentalités sont en train de se modifier et de regarder ces amours "hors normes" comme normaux. Mais la norme en amour celui qui pourra la définir n'est pas encore de ce monde. Je pense aussi que c'est le simple fait de la procréation qui fait dire que c'est l'homme et la femme qui ont l'amour "normal". Ouvront les yeux l'Amour est à tous et comme on le sent, sans tabous ni préjugés.Bonne soirée, bigs bisous toujours bien froids et neigeux pour demain.
Répondre
C
<br /> l'amour c'est à la fois la chose la plus compliquée et la plus difficile qui soit. Mais personne ne peut juger, n'a le droit de juger, car celui qui fait ça est<br /> peut etre simplement frustré dans sa propre vie sexuelle ...<br /> <br /> bisous bisous pas encore de neige ce matin, c'est annoncé plutot pour ce soir ;)<br /> <br /> <br /> <br />
K
En effet, la norme n'existe pas pusique nous sommes tous uniques, différents et singuliers. On pourrait peut-être lui donner le sens de "sain"; sans malformation, reste à définir ce qui n'est pas sain et ce qui l'est, et c'est là que subsiste le problème. J'en entend déjà tenter d'expliquer que l'homosexualité serait "anormale" car non "saine". Ca reste à prouver ! Et quand bien même "on le prouvait" ce que je ne crois pas vraiement possible, il nous faut bien vivre avec le fait que ça existe. Pour ma part je trouve bien plus intéressant de ne plus trier les gens en fonction de leur orientation sexuelle. Cessons de croire que notre façon d'être est forcément "la seule qui est bonne" (je connais la réflexion dans l'autre sens aussi d'ailleurs; des homos convaincus une l'hétérosexualité est une chose stupide) Bref, ça prouve que nul n'a le monopole de la bêtise. Vivons ensemble !  On atant a y ganger et à partager ! Je préfère penser que sans différence, pas de diversité. alors, merci à chacun de vous d'être tellement "différent" c'est ça qui rend le monde dans lequel je suis né beau et intéressant.
Répondre
C
<br /> je dirais que l'acceptation d'un autre différent (et peu importe à quel niveau se situe la différence) c'est ça qui compte ...<br /> <br /> bisous<br /> <br /> <br />
K
Oui je suis tout à fait d'accord avec toi. Si je dis qu'on diabolise moins c'est pas qu'on diabolise plus du tout certes. Il se trouve que je connais des couple homos, hommes ou femmes et c'est eux qui me disent qu'ils subissent moins de regards et de réflexions agressives ou rejetantes ces dernier temps. Et bien sûr oui, nous ne sommes pas figés pour toujours, et nombreux sont ceux qui changent de préférence sexuelle au cours de leur vie. Aussi il est bien maladroit de rejeter l'une ou l'autre des diverses sexualités (dès lors qu'il s'agit de pratiques entre adultes -ou personnes du même âge- consentants).Et re-oui, Sûr que c'est les "rejetants" qui tireraient profit d'une telle lecture. bref, on est d'accord... . Il est un fait que, la crainte de se découvrir homo poussent certains à rejeter l'homosexualité, pensant naïvement, que celà les en protège. Sûr qu'il n'est enviable pour personne de se retrouver hors "norme". A nous de faire évoluer les choses pour que la "norme" s'élargisse aux autres préférences. Pour ma part, j' travaille comme je peux. 
Répondre
C
<br /> mais la norme, c'est quelque chose d'extremement restreint ... et de restrictif ...<br /> beaucoup font semblant d'appartenir à la norme ...<br /> <br /> j'étouffe dans ce monde où la norme ne veut rien dire ...<br /> <br /> <br /> <br />