30 décembre 2008
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Le livre :
1945, la guerre est finie. Simone a rejoint un atelier de couture, afin de faire les finitions sur les vêtements et de gagner sa vie. Elle travaille essentiellement avec des femmes. Simone a vu son mari être déporté, et élève ses deux fils seuls. Elle se bat pour que son mari soit reconnu comme déporté et mort dans les camps, afin de pouvoir toucher une aide de l'Etat. A l'atelier, les bavardages des uns et des autres révèlent les comportements des uns et des autres, pendant la guerre, après la guerre.
Ce que j'en ai pensé :
Il s'agit d'une pièce de théâtre, et je regrette d'avoir lu la présentation du livre (aux éditions flammarion) qui m'ont enlevé les découverte du livre, puisque dans cette partie, les scènes importantes sont révélées avec leur signification, et les citations. Je m'interroge sur l'intérêt de lire une pièce de théâtre dont les répliques les plus significatives sont dévoilées ?
Il aurait été plus judicieux, à mon sens, de mettre ce qui se trouve dans cette présentation, à la fin du livre.
Tout est plus ou moins implicite dans ce livre, suggéré. Aux lecteurs de comprendre, et de décoder ce que l'auteur a voulu nous dire.
Ce texte de Grumberg est en partie auto-biographie, il s'est inspiré de l'histoire de ses parents, de sa mère Simone. Le mari de celle-ci n'est pas français aussi a-t-elle beaucoup de mal à le faire reconnaître comme déporté. Il a été rafflé et emmené à Drancy dans la vague des juifs étrangers de France. Simone a su protéger ses enfants en les envoyant en zone libre. Nous ignorons comment elle-même a pu échapper à la déportation.
Simone se bat contre une administration qui lui prend ses photos, son énergie, son temps et qui, finalement, ne fait peu que d'effort pour lui venir en aide. Pourtant, la durée de ses recherches ainsi que ses démarches permettent à Simone de garder son mari vivant, tout au moins dans son coeur (Simone se doute qu'il n'a pas réchappé aux camps) car il est évident que le jour où elle obtient les fameux papiers lui donnant des droits, et malheureusement la certitude du décès de son mari, cela marque la fin pour elle, d'une époque. Survient alors le désespoir, et ce qui la faisait tenir s'effondre. Elle ne parvient plus à se rendre au travail, elle tombe malade.
Prouver que son mari avait bien fait parti de la raffle qui avait mené les juifs étrangers à Drancy, c'était son cheval de bataille, sa flamme intérieur.
Autour d'elle, rare sont ceux qui comprennent son obstination. En fait, il n'y a que Madame Hélène qui la comprenne. Léon sait mais veut tourner la page de cette guerre, veut oublier les peurs, la misère humaine. Les autres (les femmes de l'atelier) sont hors de cela, elles n'ont pas vécu la guerre dans leur chair, elles l'ont subi, et ont choisi de faire contre mauvaise fortune bon coeur. Certaines trouvaient les allemands plus civilisés quand d'autres préfèrent le libertinages de américains.
Ce qui me semble intéressant c'est la manière dont l'auteur nous montre la volonté du plus grand nombre à ne pas vouloir savoir ou du moins à préférer ne pas entendre, ne pas savoir ce qui est arrivé, préférer oublier ce qui est arrivé. En utilisant l'implicite, les non-dits, le suggéré, qui s'en trouvent renforcés par la colère de Madame Hélène, Grumberg montre ce qui s'est passé au lendemain de la guerre, l'état d'esprit des gens, la volonté de passer à autre chose.
Citations :
- [c'est Léon qui parle, le patron de Simone] C'est terrible, alors parce qu'il a été déporté il doit pas travailler, qu'est-ce que ça veut dire ? "Je peux pas le regarder" qu'est-ce que ça veut dire ? C'est un homme comme un autre oui ou non ? (Hélène ne répond pas) Qu'est-ce qu'il a, qu'est-ce qu'il a ? Il est fort comme un Turc, toute la journée il a un fer de cinq kilos dans les mains, quand il repasse pas ici il fait la petite presse chez Weill et je suis sûr qu'il une troisième place pour le soir et une quatrième pour la nuit ... La seule chose : je veux qu'il me dise quand il est chez Weill et quand il est ici, c'est tout ... c'est tout. Que j'aie rien que des ouvriers comme lui, voilà ce que je me souhaite, en fer, il est en fer, jamais un mot, jamais une réflexion, il sait ce que c'est que travailler va, t'en fais pas, ceux qui sont revenus d'là-bas ils savent ... C'est ça la sélection naturelle madame.
- [Simone] Ils donnent toujours pas d'acte de décès, une dame m'a raconté qu'on lui a répondu que l'acte de disparition suffisait. Ca dépend pour quoi ... Pour toujours une pension ça suffit pas ... Ils nous font toujours remplir de nouveaux papiers, on sait même pas à quoi on a droit ... Personne ne sait rien ... Ils nous jettent d'un bureau à l'autre. (Un temps) A force de faire la queue partout on finit par se connaître, on se parle, on se raconte ... Ah, les bobards ça y va, ça y va ... Y en a qui savent toujours tout ... Le pire c'est les mères ... Vous aussi vous êtes passé par l'Hôtel Lutétia ? ( Le presseur approuve de la tête) On m'avait dit d'y aller tout au début pour avoir des renseignements, quelqu'un qui l'aurait vu, qui ... enfin vous savez : les photos, les ... bon ... J'y étais qu'une fois, j'osais pas m'approcher. Il y a une bonne femme qui m'a agrippée par le bras et qui m'a fourré de force sous les yeux une photo genre distribution des prix, je vois encore le gosse, il avait l'âge de mon grand en culottes courtes, avec une cravate, un livre sous le bras, "le prix d'excellence", elle hurlait "le prix d'excellence". Elle voulait pas me lâcher, pourquoi vous pleurez elle répétait, pourquoi vous pleurez, regardez, regardez ils reviennent, ils reviendront tous ; Dieu le veut, Dieu le veut. Alors une autre femme lui a crié dessus et s'est mise à la pousser ... On a beau dire que pour les enfants c'est sans espoir, elles sont là, elles viennent, elles parlent ... Je l'ai revu plusieurs fois dans les bureaux, de plus en plus folle ... J'en ai repéré une autre, jamais elle veut faire la queue, madame veut toujours être servie la première, je lui ai dit une fois : "Vous savez, madame, on est toutes comme vous ici, pas la peine de resquiller, du malheur y en a toujours assez pour tout le monde ..." A la préfecture, j'ai rencontré une madame Levit avec un T, celle-là très gentilles, une femme bien, elle a vraiment pas eu de chance, son mari a été pris aussi en quarante-trois, mais lui, il était même pas juif, vous vous rendez compte, il s'appelait Levit, c'est tout ... Depuis elle arrête pas de courir : au début pendant la guerre c'était pour prouver qu'il était ...
Elle cherche le mot exact.
Le presseur (lui souffle) : Innocent ?
Simone approuve.
Simone : Et maintenant comme nous, elle court juste pour savoir ce qu'il est devenu et pour essayer de toucher un petit quelque chose : c'est une femme seule avec trois enfants, elle a pas de métier, elle sait rien faire ...
- Hélène : Pauvre idiot (elle s'adresse à Léon), "Drancy ou ailleurs", mais ça n'existe pas sur leurs papiers, avec tous les tampons et toutes les signatures officielles, regarde -tribunal de la Seine ... Greffier ... Juge ... enregistré le ... certifié le ... Alors personne n'est parti là-bas, personne n'est jamais monté dans leurs wagons, personne n'a été brûlé ; s'ils sont tout simplement morts à Drancy, ou à Compiègne, ou à Pithiviers, qui se souviendra d'eux ? Qui se souviendra d'eux ?
Léon (à voix basse) : On se souviendra, on se souviendra, pas besoin de papier, et surtout pas besoin de crier.
Hélène : Pourquoi ils mentent, pourquoi ? Pourquoi ne pas mettre simplement la vérité ? Pourquoi ne pas mettre : Jeté vif dans les flammes ? Pourquoi ? ...