21 avril 2009
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Entretien Olivier Nicklaus et Vincent Ostria. Almodovar sans fard. 2002.
L'année de ses 50 ans, Almodovar présente Parle avec elle qui suscite une admiration unanime. Homme à mi-parcours de la vie, artiste en pleine possession de ses moyens, il se retourne sur une trajectoire de vingt-cinq ans.
[...]
Vous avez été la figure majeure de la Movida. Que reste-t-il de ce mouvement aujourd'hui ?
Rien du tout. C'était un moment intense, mais en même temps éphémère. Le plus important dans ce qu'on a appelé La Movida, c'était de la vivre. Au moment où on a commencé à en parler, et où des tas de journalistes du monde entier venaient voir ce qui avaient fermé, certaines personnes étaient mortes, d'autres étaient passés à autre chose. Le gouvernement espagnol et le maire de Madrid ont tout fait pour que ça disparaisse. La Movida s'est déroulée précisément entre 1977 et 1983, ni avant ni après. Ca a été vraiment délirant jusqu'en 1982.
Le Parti Socialiste aimait bien cette Movida à ce moment-là parce que ça faisait parler de l'Espagne à l'étranger. Ils ont essayé de la récupérer en faisant croire qu'ils en avaient été les initiateurs, ce qui était faux. Felipe Gonzalez, le Premier ministre de l'époque, profitait de l'impact de cette orgie ; elle lui permettait de légitimer la démocratie espagnole. Il disait aux journaux : "Nous vivons dans un pays libre. La preuve : Almodovar peut faire du cinéma." Mais, d'un autre côté, Gonzalez avait une grande ambition européenne, donc il ne tenait pas non plus à ce que Madrid soit trop différente des autres capitales. Il a donc réprimé de façon cynique toute la folie de la nuit madrilène, fait fermer des bars ... Il a tout fait pour que Madrid ressemble de plus en plus à Oslo.
Et le maire, qui est depuis longtemps le cauchemar des Madrilènes, n'a que des préoccupations électorales. Il a donc écouté les gens qui se plaignaient du bruit. A Madrid, c'est devenu très difficile d'ouvrir un bar ou une discothèque. Les critères sont draconiens. Le parti socialiste et le maire ont presque réussi à réduire à néant la vie nocturne de la ville. Mais si vous y allez aujourd'hui, je vous promets que vous vous amuserez, sans courir aucun danger. Sauf si vous aimez le danger, et là, vous le trouverez. Madrid a toujours été une ville noctambule, y compris sous Franco.
A la fin des années 60, Madrid a eu sa "Dolce vita". A la place d'Anita Ekberg, il y avait Ava Gardner. Elle se promenait dans la rue, complètement soûle, avec les pédés, les putes, tous ceux qu'elle rencontrait, avant d'aller directement sur le plateau des 55 Jours de Pékin. Toute cette activité était un peu clandestine, mais les autorités fermaient les yeux. A l'époque, ce n'était pas aussi accessible qu'aujourd'hui : c'était plutôt réservé aux artistes, aux peintres, aux prostitué(e)s, qui formaient une élite en quelque sorte. Mais plus dans les années 80.
La Movida n'a pas été un mouvement idéologique ni générationnel. C'était une explosion, une délivrance de l'angoisse des années où Franco agonisait sans fin. On n'avait plus peur de la police. Nous avions décidé, jeunes et moins jeunes, de jouir de la vie, tout simplement, en opposition avec les gens des années 70 qui étaient plus protestataires, politisés et très ennuyeux. Nous n'étions pas politisés en apparence, mais notre posture était aussi politique. Nous luttions pour que notre vie soit les plus frivole, la plus superficielle possible, qu'elle soit complètement orientée vers le plaisir.
[...]
La Movida n'a eu d'intérêt que tant qu'elle a duré. En fait, ça n'a pas été une grande période de création. C'était surtout un mode de vie, un mode de vie très artistique. Par exemple, les gens qui dessinaient des vêtements les portaient pour sortir le soir.
Le seul domaine créatif dans la Movida, c'est la musique, qui a eu une influence énorme. C'était très facile et très bon marché de faire des disques. Il y a eu des centaines de groupes excellents, étranges, visionnaires, chose qu'on n'avait jamais vu en Espagne. Mais ils étaient ignorés par les majors et on ne les trouve aujourd'hui que dans quelques compilations. Les écrits marquants de cette époque sont surtout les paroles des chansons ou un roman-photo comme Patty Diphusa. On n'a jamais eu un roman phare comme Sur la route de Jack Kerouac pour la beat generation ou comme les grands textes fondateurs du surréalisme.
[...]
Les Inrocks 2. Pedro Almodovar. M 05915.
A lire aussi. Autour de La Mauvaise Education de Pedro Almodovar.
Merci à Damien de m'avoir prêté ce magazine.
L'année de ses 50 ans, Almodovar présente Parle avec elle qui suscite une admiration unanime. Homme à mi-parcours de la vie, artiste en pleine possession de ses moyens, il se retourne sur une trajectoire de vingt-cinq ans.
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Vous avez été la figure majeure de la Movida. Que reste-t-il de ce mouvement aujourd'hui ?
Rien du tout. C'était un moment intense, mais en même temps éphémère. Le plus important dans ce qu'on a appelé La Movida, c'était de la vivre. Au moment où on a commencé à en parler, et où des tas de journalistes du monde entier venaient voir ce qui avaient fermé, certaines personnes étaient mortes, d'autres étaient passés à autre chose. Le gouvernement espagnol et le maire de Madrid ont tout fait pour que ça disparaisse. La Movida s'est déroulée précisément entre 1977 et 1983, ni avant ni après. Ca a été vraiment délirant jusqu'en 1982.
Le Parti Socialiste aimait bien cette Movida à ce moment-là parce que ça faisait parler de l'Espagne à l'étranger. Ils ont essayé de la récupérer en faisant croire qu'ils en avaient été les initiateurs, ce qui était faux. Felipe Gonzalez, le Premier ministre de l'époque, profitait de l'impact de cette orgie ; elle lui permettait de légitimer la démocratie espagnole. Il disait aux journaux : "Nous vivons dans un pays libre. La preuve : Almodovar peut faire du cinéma." Mais, d'un autre côté, Gonzalez avait une grande ambition européenne, donc il ne tenait pas non plus à ce que Madrid soit trop différente des autres capitales. Il a donc réprimé de façon cynique toute la folie de la nuit madrilène, fait fermer des bars ... Il a tout fait pour que Madrid ressemble de plus en plus à Oslo.
Et le maire, qui est depuis longtemps le cauchemar des Madrilènes, n'a que des préoccupations électorales. Il a donc écouté les gens qui se plaignaient du bruit. A Madrid, c'est devenu très difficile d'ouvrir un bar ou une discothèque. Les critères sont draconiens. Le parti socialiste et le maire ont presque réussi à réduire à néant la vie nocturne de la ville. Mais si vous y allez aujourd'hui, je vous promets que vous vous amuserez, sans courir aucun danger. Sauf si vous aimez le danger, et là, vous le trouverez. Madrid a toujours été une ville noctambule, y compris sous Franco.
A la fin des années 60, Madrid a eu sa "Dolce vita". A la place d'Anita Ekberg, il y avait Ava Gardner. Elle se promenait dans la rue, complètement soûle, avec les pédés, les putes, tous ceux qu'elle rencontrait, avant d'aller directement sur le plateau des 55 Jours de Pékin. Toute cette activité était un peu clandestine, mais les autorités fermaient les yeux. A l'époque, ce n'était pas aussi accessible qu'aujourd'hui : c'était plutôt réservé aux artistes, aux peintres, aux prostitué(e)s, qui formaient une élite en quelque sorte. Mais plus dans les années 80.
La Movida n'a pas été un mouvement idéologique ni générationnel. C'était une explosion, une délivrance de l'angoisse des années où Franco agonisait sans fin. On n'avait plus peur de la police. Nous avions décidé, jeunes et moins jeunes, de jouir de la vie, tout simplement, en opposition avec les gens des années 70 qui étaient plus protestataires, politisés et très ennuyeux. Nous n'étions pas politisés en apparence, mais notre posture était aussi politique. Nous luttions pour que notre vie soit les plus frivole, la plus superficielle possible, qu'elle soit complètement orientée vers le plaisir.
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La Movida n'a eu d'intérêt que tant qu'elle a duré. En fait, ça n'a pas été une grande période de création. C'était surtout un mode de vie, un mode de vie très artistique. Par exemple, les gens qui dessinaient des vêtements les portaient pour sortir le soir.
Le seul domaine créatif dans la Movida, c'est la musique, qui a eu une influence énorme. C'était très facile et très bon marché de faire des disques. Il y a eu des centaines de groupes excellents, étranges, visionnaires, chose qu'on n'avait jamais vu en Espagne. Mais ils étaient ignorés par les majors et on ne les trouve aujourd'hui que dans quelques compilations. Les écrits marquants de cette époque sont surtout les paroles des chansons ou un roman-photo comme Patty Diphusa. On n'a jamais eu un roman phare comme Sur la route de Jack Kerouac pour la beat generation ou comme les grands textes fondateurs du surréalisme.
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Les Inrocks 2. Pedro Almodovar. M 05915.
A lire aussi. Autour de La Mauvaise Education de Pedro Almodovar.
Merci à Damien de m'avoir prêté ce magazine.