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12 janvier 2010 2 12 /01 /janvier /2010 18:13
miroirdel--me.jpg Réparer ? Comment réparer l'irréparable ?
 Ma mère décide d'enfouir son passé dans les placards. A-t-elle le choix ? Comme tous les juifs, en 1945, elle veut se fondre dans la masse de ceux qui ont souffert de la guerre, résistants, communistes, tous français et déportés, quelle qu'en soit la cause. Des français comme les autres, victimes de la barbarie nazie, c'est la volonté des gouvernants, gaullistes, communistes, socialitstes, mais surtout et aussi des Juifs, qui en ont assez d'être "des spécifiques". S'intégrer, encore plus, s'intégrer surtout pour que cela ne recommence pas. Pas d'individualisation dans le malheur au risque de déformer la vérité.
 L'administration fait de même avec une logique implacable. Dans les documents que je continue d'explorer, je retrouve des correspondances du ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés et aussi du ministères des Anciens Combattants et Victimes de guerre. Que veulent dire ces intitulés ?
 Certes mes grands-parents ont été tout cela, mais il manque l'essentiel. Tués parce que Juifs. Ni "combattants", ni "résistants". "Victimes de guerre", oui. mais peut-être pas exactement comme les autres.
 Une série de document a trait à l'impôt de Solidarité nationale, créé à la Libération pour aider à la reconstruction du pays. Cet impôt était assis sur une déclaration de patrimoine que mon père remplit scrupuleusement. Mais une longue correspondance l'a opposé au ministère des Finances, la maison d'Enghien n'ayant pas été déclarée puisque mes grands-parents en avaient été dépossédés en 1943. Le 17 mars 1949, l'inspecteur des Impôts lui écrit :"Vous m'avez fait savoir que vous refusez formellement de reconnaître avoir assis dans votre déclaration du patrimoine l'immeuble sis à Saint-Gratien, 132, avenue de Ceinture. J'ai l'honneur de vous faire connaître que vos arguments sont juridiquement sans fondements. Contrairement à ce que vous pensez l'immeuble en question est devenu la propriété de votre épouse, non à la date de la déclaration de succession, mais dès le décès de vos beaux-parents, c'est-à-dire le 1° mai 1944 ... A défaut de réponse satisfaisante avant le 18 avril prochain, je serai dans l'obligation de prendre contre vous toutes mesures conservatoires, de nature à interrompre le cours de la prescription qui viendra à échéance le 4 mai 1949."
 En clair, cela signifiait que le fisc ne prenait pas en compte les événements survenus pendant la guerre, la spoliation et l'extermination. La maison était à mes grands-parents, ils étaient morts, peu importe comment, ma mère devait payer ... A cela s'ajoutaient les impôts sur les revenus réclamés durant la guerre - acquittés jusqu'en 1943 ! - et les arriérés d'impôts réclamés à mes grands-parents à qui, par ailleurs, on interdisait d'exercer leur métier et dont les biens étaient confisqués ! S'agissant de l'impôt sur la Solidarité nationale, les agents du fisc sont sourds et aveugles : nous sommes en 1949. La guerre est finie depuis quatre ans, on sait tout sur les camps, mais cela n'a pas d'effet sur l'instruction fiscale ... La procédure dura jusqu'en 1953 et la demande fut rejetée : il fallut s'acquitter de sl'impôt d'Enghien et payer les énalités de retard sur huit ans. Juridiquement exact. Politiquement et humainement insensé.
 Quant aux indemnisations, c'est un écheveau complexe. Je lis beaucoup d'imprimés au titre de dommages de guerre, y compris une curieuse correspondance dans laquelle on suggéra à ma mère, pour tenter de trouver une solution, de demander une carte de déporté politique "pour vos parents déportés, ce qui vous donnerait droit, écrit-on, au pécule des déportés, lorque la forclusion sera levée, ce qui ne saurait tarder. Pour l'instant vous ne pouvez prétendre à aucun droit sur les dommages de guerre". Et le 8 mai 1950, une lettre du ministère des Finances, caisse de contrôle de l'impôt de Solidarité nationale, indique à mon père, que "par lettre du 3 mais courant du délégué départemental des services de la reconstruction à Versailles m'a renvoyé vos demandes d'imputation de dommages de guerre. En effet, vous ne remplissez pas les conditions requises pour pouvoir bénéficier de la législation sur les dommages de guerre.
 "Dans ces conditions, je vous invite à verser à la caisse ci-dessus désignée, dans un délai de huit jours, la somme de 47 241 F majorée des intérêts de retard".
 Voilà qui estencore plus clair. Déporté politique, c'est une catégorie reconnue. Juif, non. Cela ne donne droit à rien, sinon à payer des impôts.

 L'attitude collective est cohérente. La question juive n'a pas existé. Il y a eu la guerre, les camps d'extermination. Des résistants qui, avec le général de Gaulle, les Anglaiset les Américains ont libéré le territoire. On ne parle pas dans les années cinquante - ou peu - des collaborateurs, sinon pour stigmatiser les brebis galeuses : Brasillach est fusillé, Pétain jugé et, dans les attendus du procès, il n'y a pratiquement rien sur sa responsabilité dans la déportation des Juifs. Les Bousquet, les Papon reprennent assez vite du service et sont recyclés par la IV° République. La France se reconstruit dans l'oubli de ces épisodes avec la complicité active - j'en suis le fruit - des "israélites" assimilés, tous d'accord pour ne pas se singulariser. Mieux vaut l'ignorance et l'oubli que l'identification, source de réparations peut-être, mais surtout d'ennuis sérieux présents ou à venir. L'éducation scolaire ou les circulaires administratives disent la même chose : "Circulez, il n'y a rien à voir."
 Et de fait, il faudra attendre longtemps pour que la question juive et question des spoliations y afférente soient reconsidérées. Comme si durant le temps d'une génération, le silence s'était imposé pour ne considérer qu'en bloc les victimes de la guerre - et des camps.
 C'est à peine si les Juifs sont mentionnés dans l'admirables film Nuit et Brouillard d'Alain Resnais en 1954. Il faudra attendre le procès d'Eichmann en 1961 et surtout Shoahde Claude Lanzmann. Des deux côtés l'oubli. Et puis il y avait tant de complicité, d'attitudes indignes ou lâches ... On commence à découvrir ce que fut l'épuration. Il reste, comme je m'en rends compe aujourd'hui en lisant ces correspondances fiscales, à établir ce qui se passa réellement dans les années d'après-guerre, les réseaux qui s'activaient. L'antisémitisme tu, mais toujours présent. Il aura fallu l'arrivée d'une nouvelle génération - la mienne - pour qu'à partir des années soixante-dix - je pense au livre de Paxton sur Vichy ou au film Le Chagrin et la Pitié - pour que l'on soulève un coin de voile. Mais ces attitudes incroyables, là, celles des années cinquante que je décris, ont-elles été examinées ?

 Certes la République fédérale allemande décida d'indemniser les Juifs et, en 1971, une lettre adressée à ma mère par le Fond social juif lui indique les démarches à suivre pour avoir droit à une indemnisation symbolique. Mais en France, il a fallu attendre 1995 et la déclaration de Jacques Chirac sur la responsabilité de l'Etat français, à l'occasion du discours qu'il prononça pour l'anniversaire de la raffle du Vel' d'Hiv', pour que très prudemment les bouches commencent à s'ouvrir. Ce qui donnera lieu à la mise en place de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'occupation. Elle instruit actuellement des milliers de dossiers ... Cinquante-quatre ans après les événements, j'ai rempli le questionnaire et repris les démarches entamées depuis près de soixantes ans maintenant par ma mère, comme j'ai poursuivi la correspondance avec M. Jacques Fredj, directeur du Centre de documentation aux questions juives, qui m'indique qu'enfin le nom de mes grands-parents sera gravés sur un mur "comme ceux de tous les juifs déportés de France, qui sera inauguré le 25 janvier 2005, dans les nouveaux locaux".
 En 2005, pour la première fois en France, les noms de Georges et Sipa Gornick seront donc gravés officiellement et tout le monde pourra les lire, comme en Israël à Yad Vashem.


Je repense à ces conversations avec ma mère, auxquelles je ne prêtais pas toujours assez attention, dans lesquelles elle me disait sa douleur de ne pas avoir de lieu pour pleurer les siens. Ni tombe, ni cimetière, ni monuments aux morts comme ceux que l'on voit parfois pour la guerre de 1914. On les moque parfois, ces vaillants poilus en fer, drapés fièrement devant une stèle où figurent les noms de ceux qui sont tombés dans chaque village pour la France. Je les ai souvent regardés distraitement. Je comprends aujourd'hui qu'il est important de pouvoir se reccueillir devant un monument portant les noms des disparus.

- Tu vois, Maman, maintenant tu pourras repose en paix.







Plus tard, tu comprendras, Jérome Clément.




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