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20 février 2008 3 20 /02 /février /2008 00:44
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Le livre :

Elliot a 60 ans. Il est en mission au Vietnam. Parce qu'il sauve un enfant, alors qu'il aurait dû être parti, un vieil homme lui propose de réaliser un de ses voeux. Elliot choisi alors de revoir celle qu'il a toujours aimé, Llena, morte 30 ans auparavant. Il se voit remettre dix pillules, puis rentre à San Francisco où il retrouve l'hôpital, son ami Mat, et le cancer qui le ronge, et qui ne lui laisse que quelques mois à vivre. Elliot prend une première pillule et se retrouve 30 ans plutôt, face à l'homme qu'il était à l'époque. Confrontation avec son double. Revoir Llena. Mais le voyage temporel ne dure que 20 minutes environ ... Elliot et son double sont perturbés par cette rencontre incroyable. Une deuxième pillule pour un deuxième voyage ...

Ce que j'en ai pensé :

A vrai dire, pas du bien.

Le thème du livre n'est pas nouveau. Le voyage temporel, la possibilité de changer le futur en en connaissant certains aspects, accepter que tout acte implique des conséquences qui nous échappent.
Thème récurrent en littérature comme au cinéma. Pour ma part, j'ai rapproché ce livre, pour ce qui est du retour dans le passé, et des conséquences à deux films Retour vers le futur, et Terminator. Ce dernier plus spécifiquement, parce que c'est la première fois que je m'interrogeais sur la possibilité d'avoir une deuxième chance et de changer les choses. Cette aptitude à pouvoir faire "autrement" sa vie par cette intrusion du futur m'a beaucoup questionnée. Aujourd'hui, je sais qu'en ce qui me concerne, je ne veux rien changer de ce qu'a été ma vie, parce que ce qu'a été ma vie, a fait de moi la personne que je suis aujourd'hui. Et j'aime celle que je suis. Je deviens ce que je suis. Je deviens qui je suis. Et cela n'est possible que parce que j'ai eu cette vie là et pas une autre. Je ne veux pas me demander ce qu'aurait été ma vie si ... parce que c'est du temps perdu à vivre, que de se poser ce genre de question. On ferait mieux de se demander qu'elle est notre vie, ce que nous pouvons améliorer aujourd'hui, pour avoir aujourd'hui, la vie dont on rêve. Car hier est passé, et demain ne sera peut-être pas.

Cependant, j'imagine que si l'on aborde un tel thème, c'est que l'on a une nouvelle idée, une nouvelle manière de le traiter. Et bien non, même pas. On prend les mêmes et on recommence. Donc, il y a Elliot, 60 ans. Il y a 30 ans, il a choisi de rester auprès d'une malade plutot que de rejoindre sa fiancé pour partir en voyage. Le problème, c'est que les autres ont toujours passé avant elle. Résultat, elle le quitte, et meurt. Toute sa vie, il s'en veut, vit dans le remord. Cependant, sa vie n'est pas si nulle. Il aura réussi son amitié avec Mat, il aura eu une superbe fille d'une liaison de passage, et il aura excellé dans son métier. Seulement il a tué celle qui l'aime. Au départ, lui, l'Elliot de 60 ans, ne veut que revoir Llena. Mais très vite se pose le choix de sauver Llena, ou de  faire naître sa fille. C'est alors qu'il propose à son lui jeune, de sauver Llena a trois conditions (ne rien lui dire de ce qui arrive, la quitter, et coucher avec telle personne pour que naisse sa fille). Musso veut nous faire croire, ou nous faire douter du fait que les choses ne sont pas écrites à l'avance. Seulement voilà, lui, il raconte une histoire, avec des remontés dans le temps, avec des changements de destins. Il voudrait nous faire croire que, bien sûr notre mort n'est pas "écrite". Il voudrait nous faire croire que ... seulement ça ne marche que parce que c'est un livre. Chacun de nous sait, ou devrait savoir que les choses arrivent parce qu'elles doivent arriver, elles arrivent toujours, quoiqu'on en pense quand elles doivent arriver, et elles ont toujours une raison pour arriver. Et ce qui ne doit pas être n'est pas, ainsi va la vie. La seule chose dont on soit réellement maître, c'est de la manière dont on perçoit les choses, dont on les vit ... mais le reste est indépendant de nous.
Le fait, qu'Elliot sauve Llena, et ce par deux fois, a une incidence dangereuse pour la suite de l'avenir, car, puisqu'elle est censée être morte, le fait qu'elle va continuer à vivre va engendrer forcément des conséquences, sur sa vie à elle, mais aussi sur la vie de son entourage.

En fait, c'est le seul point d'intéressant dans ce livre, le fait qu'il nous fasse réfléchir aux conséquences de nos actes, de notre comportement, à l'impact qu'ils ont sur nos vies et sur la vie de notre entourage.


Voici pour l'histoire, mais parlons de Musso en tant qu'auteur. J'ai trouvé cet auteur pire que Marc Levi. Si, je vous jure. Dès les premières pages, j'avais l'impression que Harlequin avait décidé de faire dans autre chose que l'eau de rose. Sauf que ce n'est pas du Harlequin, sauf que Musso est considéré comme un écrivain, qui plus est bon, alors que ce n'est pas le cas. Levi a une écriture scolaire (je repense avec horreur à ses descriptions si mathématiques), niveau troisième. Musso n'a même pas ça, ou plutot si, niveau sixième. Il ne respecte nullement le pacte auteur / lecteur, qui est la base même de l'écriture. Un écrivain, à partir du moment où il se met à écrire, il le fait pour être lu. Cela implique qu'il s'adresse à un public qui sait lire, qui a déjà lu. Aussi, quand il évoque certaines choses qui appartiennent à la culture générale, il ne doit nullement expliquer ces choses. Quand il évoque Hemingway à propos de la Floride, Musso croit de bon ton de nous dire ce qu'a écrit ce dernier. Pour quoi prend-il le lecteur ? un ignare ? Et il en va de même tout au long du roman. Le pacte entre le lecteur et l'auteur n'est pas une chose inutile. C'est même essentiel, cela établi une complicité, oblige d'un côté l'auteur à la subtilité et de l'autre, le lecteur a une attention et une finesse d'esprit faisant appel à son savoir. Si l'auteur mache le travail du lecteur, où est l'intérêt ? Si vous jouez au cluedo, et qu'on vous donne tous les indices, sans que vous n'ayez à chercher, pouvez-vous me dire où est l'intérêt ?
Donc Monsieur Musso, s'il vous plait, en littérature, il existe une chose qu'on nomme "intertextualité", et croyez moi, ce n'est pas fait pour les chiens, mais bel et bien pour établir une connivence entre les auteurs et leurs lecteurs.

Et si c'était tout, mais non ... très vite j'ai lu ce livre en diagonal. Passé la stupeur de découvrir la pauvreté du style, et d'avoir pensé "mon dieu, que je vais avoir du mal à lire ce livre, cela va être fastidieux", j'ai eu l'impression d'avoir sous le nez une copie d'élève, sur laquelle j'aurais régulièrement inscrit en rouge remplissage dans la marge. Mais qui suis-je pour me permettre de dire de telles choses ... ? juste une personne qui a derrière elle un certain nombre d'années en matière de littérature, spécialisée en littérature comparée. Ce que je dis là, je ne le dis pas à la légère. Je descends ce livre, et cet auteur, mais j'appuye mais dire. J'argumente.

Un bon point cependant, les citations en début de chapitre. Souvent fines et bien choisies.


Arrêtons de nous faire croire que les Levi, et autre Musso sont de véritables écrivains. Ce sont des noircisseurs de pages. Si la littérature vous semble difficile, choisissez des auteurs comme Werber, même si leur style est simple, ils ont quand même un style, et ils ont des idées, des réflexions, des théories. Mais là, pitié ... Je vous jure, Levi, c'était déjà pas ça, mais Musso, c'est encore pire. Il y a tant d'auteurs qui mériteraient d'être publiés ... tant ... et quand je vois que ce sont des gens qui écrivent ainsi qui le sont ... ça fait peur ...

D'après ce que j'ai entendu dire de ceux qui se sont essayé à Musso, c'est toujours le même univers, le schéma type ... comme les Harlequins ... Mon meilleur conseil ... si vous voyez Musso, passez votre chemin !


Citations :

    - "Tout ça pouvait sembler complètement dingue, mais il était arrivé à une période de a vie où à force de ne plus croire à rien, il était prêt à croire en tout"

    - Vous pouvez tout faire, penser ou croire, posséder toute la science du monde, si vous n'aimez pas, vous n'êtes rien" Marcelle Sauvageot.

    - Dans les périodes d'apaisement, on croit toujours les avoir vaincus. On s'imagine qu'à la longue, on a fini par leur faire la peau. Qu'on les a éloignés pour de bon. A jamais et pour toujours. Mais c'est rarement le cas. Le plus souvent, nos Démons sont toujours là. Tapis quelque part dans l'ombre. Guettant inlassablement le moment où l'on baissera la garde. Et quand l'amour s'en va ...

    -En admettant que ce soit vrai, pourquoi dites-vous que c'est moi qui l'ai tuée ?
    L'homme en face de lui marqua une pause comme pour bien peser chaque mot avant de confirmer : Tu l'as tuée parce que tu l'aimes mal.
    -J'ai entendu assez de conneries comme ça s'emporta Elliot en se levant.
    Tu l'aimes comme si vous aviez la vie devant vous ... Ce n'est pas comme ça qu'il faut aimer.






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2 février 2008 6 02 /02 /février /2008 00:41
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Le livre :

Eisuke a fait une mauvaise chute et se trouve cloué au lit. On lui découvre une boule au niveau de la colonne vertébrale. Une boule du même genre que l'oncle Kotaro avait à la base du cou. Cette boule renvoit Eisuke a son enfance, au relation avec son oncle, ses parents, son frère jumeaux. Puis, les souvenirs faisant leur oeuvre, il demande au narrateur de lui retrouver l'auteur d'une lettre qu'il a reçu après le décès de son frère à la guerre. Peu à peu Eisuke découvre un frère différent de celui qu'il a cottoyé.


Ce que j'en ai pensé :

Ce n'est pas Eisuke, le narrateur, mais un de ses amis. Cela permet d'avoir un regard autre et pratiquement neutre sur l'histoire, il relativise les événements. Le narrateur est un "accompagnant", une présence rassurance, une béquille. Cependant, il est aussi là pour mettre Eisuke face à ses contradictions. Il donne une vision différente de l'histoire de Eisuke et son jumeau Josuke. Il écoute, s'interroge, remet parfois les choses à leur place. Le narrateur nous met face à l'indifférence égoiste de Eisuke face au reste de l'humanité. Mais il nous montre aussi qu'à travers son comportement Eisuke cache une souffrance indicible.

Eisuke nous donne l'impression d'une personne égoïste. Il a vécu sa vie à lui, il s'est plié aux coutumes et traditions, parfois il s'est rebellé, rarement en fait. Il s'est marié, est prof. Il est un tantinet cynique, sans envie, sans passion. Il n'a pas vécu réellement sa vie, il se contente de la traverser, pourtant il n'hésite pas à porter des jugements sur les autres. Son comportement est assez déconcertant. On se demande s'il aime les gens, s'il aime quelqu'un, s'il a jamais aimé quelqu'un. On se demande si les choses le touchent, si quelque chose le touche. L'impression que j'ai eu de Eisuke, c'est qu'il n'a pas osé vivre, par manque d'envie, par peur peut-etre. Il se replonge dans son histoire familiale sans réelles émotions. Et pourtant, il a eu ce besoin de revenir sur son histoire familiale, il a eu besoin de savoir l'histoire réelle de son frère quand cette boule est apparue. Cette boule le renvoie à celle de son oncle. Elle est là comme un signe du destin. Tout le cheminement d'Eisuke sur sa vie, sur ce qu'a été sa vie, sur la vie des siens est intimement lié à cette boule. J'ignore si Eisuke se sent coupable de son indifférence. J'ignore si Eisuke a ce que l'on appelle un "excès" de conscience. J'ignore les motivations profondes qui font qu'Eisuke décide de régler ses comptes avec son histoire et de s'intéresser à quelqu'un d'autre qu'à lui. Est ce sa conscience qui le torture ? A t il pris conscience de sa non implication dans la vie, dans la vie de son entourage, de sa famille ?
Ce qui m'a le plus surpris c'est qu'en fait, il est marié mais pas un mot sur sa femme. Rien ... on ignore comment il l'a rencontré, on ignore tout, tout juste apprenons nous qu'il n'aime pas les enfants. Je me demande si ce comportement égoiste n'est pas une manière de se protéger de ce qu'il a vécu enfant, si ce comportement de refuser de savoir et de connaitre la vie des gens qui lui sont proches n'est pas un moyen de se protéger des souffrances. Car je pense que Eisuke a souffert, depuis le jour où il a appris que son oncle le mettait en compétition avec son jumeau, que ce dernier lui était préféré. Son comportement, nos comportements relèvent souvent voire toujours de souffrances intimes. C'est un personnage complexe. On n'arrive pas à ne pas l'aimer, et pourtant on a du mal à le trouver sympathique, cependant il reste attachant. Je dirais qu'il fait parti de ces gens qu'on "tolère" mais vers qui on n'arrive pas à aller car ils sont si renfermés sur eux, si hermétiques à la vie. Ou bien peut etre qu'on ne prend pas suffisamment le temps pour essayer de comprendre, qu'on n'a pas non plus l'envie de s'impliquer pour comprendre.

Nous découvrons la vie de son frère Josuke en même temps que Eisuke et le narrateur. Je pense que le rapport de gémélité est important dans le contexte. En dehors de l'histoire familiale, c'est bien des relations entre Josuke et Eisuke dont il est question. De leur enfance, de la manière dont l'oncle Kotaro a voulu les mettre en compétion. Josuke et Eisuke, malgré leur gémélité (et qui connait des jumeaux dans son entourage sait combien les ressemblances physiques n'entrainent pas des ressemblances de personnalité), n'ont jamais été concurrents. La façon dont est montré Josuke par rapport à Eisuke est intéressante. Contrairement à son frère, Josuke prend des décisions, s'impliquent dans sa vie, fait des choix, des erreurs aussi. J'ai eu également l'impression que Josuke faisait les erreurs que ne pourrait jamais faire Eisuke, comme de voler un marchand de nouilles, quitter le collège de lui-même, partir comme apprenti croque mort, mettre enceinte la femme du patron, être enrôlé dans l'armée japonaise pour partir au front en Chine ( ils ont 20 ans durant la seconde guerre mondiale), se droguer.
Est ce que Eisuke n'a pas au final envié ce frère préféré par l'oncle Otaro ? N'a t il pas été jaloux de la mise en avant perpétuel de son jumeau par cet oncle qu'au final il hait ? Ou bien n'a t il pas été envahi par la culpabilité d'être né avec un jumeau, entrainant de lourdes dépenses pour ses parents ?

Josuke a vécu la guerre. On ignore ce qui l'a réellement poussé à se droguer. On parle d'une souffrance physique, d'asthme. Et comme il était sergent chef à l'infirmerie de l'armée, il a pu voler dans le stock et "se servir" ses doses. Le suicide de Josuke n'est pas évoqué comme une monstruosité, mais plutot comme une évidence. D'ailleurs, Eisuke ignorait que son frère s'était suicidé avant de rencontrer le compagnon d'arme de celui-ci. Il pensait qu'il était mort de maladie quelques temps avant d'être démobilisé. Josuke avait atteint un tel degré de dépendance à la drogue médicale qu'en fait, le suicide était sa seule solution pour s'en sortir. Ceci est parfaitement expliqué par Kano, son compagnon d'armes. Il raconte que les drogués sont consummés de l'intérieur par les drogues au point de rendre les os fragiles, si bien que lors de la crémation de Josuke, les os se sont brisés rapidement.

Hormis l'importance de cette relation gémellaire, où l'auteur s'applique à nous montrer les différences caractérielles des jumeaux, ce qui m'a frappée, c'est la manière dont est évoquée la seconde guerre mondiale qui m'a frappée. Je me suis rendue compte que je n'avais toujours eu que le point de vue occidental sur cette guerre, je sais ce qu'ont vécu les populations françaises, allemandes, juives, européennes, mais les populations asiatiques ? comment l'ont elles vécu cette guerre. Je ne dis pas que j'ignore, puisque je sais, à travers certains films, notamment sur la vie de l'empereur Hirohito, mais la population, comment l'a-t-elle vécu, cette guerre. Et comment c'était la guerre pour les japonais au front. Bien sûr, le livre ne nous donne qu'un bref aperçu de cette guerre. Mais j'ai pris conscience des nombreuses lacunes en matière d'histoire qu'on nous enseigne, ou plutot que l'on ne nous enseigne pas. Je me rends compte que si je sais pourquoi la guerre eut lieu chez nous, le massacre des juifs, des minorités dites "affaiblissantes" pour la race arienne, je prends conscience que si je sais que le Japon a déclaré la guerre aux Etats Unis en bombardant Pearl Harbor, j'ignore pourquoi il l'a fait. Je me rends compte que si l'Europe était à feu et à sang à cause d'un dictateur assoiffé et mégalo, si l'Amérique s'est jointe à l'Europe pour réduire à néant ce barbare, le Japon lui menait une autre guerre, une guerre de conquête sans doute sur son voisin, La Chine.  C'est comme si d'un seul coup, je prenais conscience que là haut une autre guerre s'était passée, qui n'avait rien à voir avec la notre. Car finalement, que gardons nous du Japon par rapport à cette guerre si ce n'est Pearl Harbor et Hiroshima et Nagasaki ???

Voir la guerre d'un autre point du vue, d'un autre lieu, d'une autre culture. Et remettre en question ce que l'on nous apprend, ce que l'on ne nous apprend pas. Comme si le Japon, finalement n'était pas intéressant. Mais il y a tant de choses à apprendre, à découvrir qu'il faut sans doute faire des choix, et probablement que l'histoire du Japon est moins intéressante / importante que notre histoire occidentale ...

Un livre touchant, émouvant. Toujours dans la pureté et la retenue. Dire sans fioriture, sans amertume, mais dire.


Citations :

    - "Un jour, alors qu'il était encore lycéen, son père, légèrement pris de boisson, lui avait confié :
- A votre naissance, toi et ton frère, la vie a été bien dure, crois moi. Des jumeaux, forcément, ça multiplie par deux les dépenses.
Même s'ils habitaient une demeure au beau portail, de fait, la vie paraissait bien avoir été difficile, financièrement. Le jardin de derrière avait été retourné sur toute sa superficie et tranformé en potager. Pour les légumes, on était arrivé à se suffire presque entièrement à soi-même. Les garçons aussi étaient requis quotidiennement à l'arrachage des mauvaises herbes et à la destruction des insectes nuisibles. Et si l'on confectionnait des gâteaux de riz maison, ce n'était pas histoire de faire des folies ou de se remonter le moral, mais par attachement à l'esprit d'autosuffisance."

    - Je suis né jumeau, pas seul, je veux dire, et même si je ne peux rien affirmer, je me demande s'il n'existe pas entre jumeaux une relation affective qui n'appartient qu'à eux. Pour prendre mon exemple personnel, j'ai un frère aîné, Ryûsuke, et un frère et une soeur plus jeunes. Eh bien, ce que je ressens pour eux ne ressemble pas à ce que je ressens pour Jôsuke.
- C'est peut-être dû à la différence d'âge.
- Probablement. Nous avons poussé dans le même utérus et nous en sommes sortis le même jour. J'ai l'impression que nous partageons quelque chose, que chacun de nous est l'autre ...
- Et tu as ressenti ça depuis le début ?
- Non, pas au début. Je pensais que c'était naturel, comme si ça allait de soi. Non, au fond, je n'y pensis même pas. Je suis couvert de pellicules. Il est vrai que je ne me suis pas lavé les cheveux depuis un moment, a-t-il dit en brossant celles qui étaient éparpillées sur ses genoux. Une fois à l'école primaire, je me suis rendu compte que tous mes camarades avaient un visage différent, il n'y en avait pas deux pareils. Sans doute est-ce à partir de là que cette impression très vivante est née en moi.

    - Tu as pleuré ?
- Non, a-t-il soupiré. On pleure à la mort d'un parent quand on y assiste, parce que la tristesse se concentre en soi, mais ce n'était pas le cas avec Josuke. D'abord, la lettre arrive, ensuite ses cendres, comme je viens de te le dire. Même pour les os, tiens, il avait été incinéré sur place. Je ne l'ai pas vu mort, en fin de compte. C'était trop loin de moi, ma tristesse s'était dispercée.

    - Fukujiro (le père de Josuke) reposait dans sa chambre, un linge blonc sur le visage. Il souleva le voile pour regarder le visage : son père avait été rasé, sa peau légèrement poudrée et il donnait l'impression de dormir. Dans le train, Eisuke s'était demandé à plusieurs reprises s'il allait pleurer, mais maintenant qu'il était pour de bon face au mort, les larmes ne venaient pas. Il reposa le voile.

    - Mourir sans rien me dire : ces mots ont suscité chez Eisuke un écho qui lui a pénétré le coeur.
Nous avons abordé. Eisuké a débarqué puis monté les marches. Les toilettes étaient entourées d'une simple palissade et l'urine partait directement dans la rivière. Sa vessie vidée, il a senti la fatigue lui tomber brutalement sur les épaules. "Il faut dire que, en une journée, j'ai appris à peu près tout de la vie de Josuke à l'armée, s'est-il dit une fois ressorti, en savonnant vigoureusement ses mains qui empestaient l'arénicole. Normal que je sois fourbu."

    - Le fait que l'autre [l'oncle Kotaro] lui eût payé un temps ses études avait créé un complexe tout au fond de lui. Ne pas répondre à une lettre veut pourtant dire qu'on en a rien à faire ! Comment se fait-il qu'il ne le comprenne pas ?
Pour lui, Fukujiro lui-même était devenu quelqu'un de bien lointain. Non seulement parce qu'il était mort vingt ans plus tot, mais aussi parce qu'il était pour ainsi dire disparu dans ses souvenirs. A l'idée que le frère du disparu était encore en vie, lui, respirait et émettait une odeur physique, à la perspective qu'il recherche un soutien auprès de lui, Eisuke avait cette sensation d'étouffement et d'écoeurement du rveil après un cauchemar. Une sensation qui venait se confondre avec celle de l'écoeurement que lui-même vivait et de la sottise qu'il avait commise.

     - Le passé de ton oncle ne t'intéresse donc pas ?
- Pas ça ! m'a-t-il répondu tout net. Il me ferait plaisir en mourant tranquillement, c'et tout. Ca va pas plus loin.
- Pourtant, je soupçonne que, le jour où il mourra, tu t'intéresseras tout d'un coup à sa vie. Tu te serviras des affaires qu'il aura laissés ou de je ne sais quoi de lui ... Je te connais, ai-je dit en haussant le ton, tu ne commences à t'intéresser aux gens que du moment qu'ils sont morts. Pour toi, la mort de tes proches est une nourriture sur laquelle tu te jettes pour en repaître ton esprit. Tiens, tu me fais penser à un de ces corbeaux qui dévorent les cadavres.
- Un corbeau ? a-t-il fait en riant d'une voix éraillée. Un corbeau sur un cadavre ? Moi ?


Merci Dominique.

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20 janvier 2008 7 20 /01 /janvier /2008 00:06

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Le livre :

Il s'agit d'un recueil de 5 nouvelles, écrites entre les années 1930 et les années 1955 par Kawabata.

"La Danseuse d'Izu" : le voyage d'un jeune étudiant. Il fait une sorte de pellerinage avant de reprendre le chemin du collège. Durant son voyage, qu'il effectue à pied, il rencontre une troupe de danseurs / forain, et se met à éprouver des sentiments pour la jeune danseuse. Il devient leur ami de route, partageant leur secret, leur vie, leur douleur aussi.

"Elégie" : une jeune femme se rappelle son amour pour un jeune homme. Elle s'est fâchée avec sa famille pour le suivre, et celui-ci l'abandonna pour se marier à une autre. Ce dernier meurt. La jeune femme évoque alors son don de voyance, la mort de sa mère, sa propre mort intérieur quand elle ressentit dans sa chair la nuit de noces du jeune homme, la mort de ce dernier.

"Bestiaire" : un homme élève des oiseaux ainsi que d'autres animaux. Il n'a jamais pu se marier, et reporte son besoin d'amour à donner sur de petits volatiles fragiles.

"Retrouvailles" : un jeune homme revient à Tokyo après la seconde guerre mondial. Sa femme et ses enfants sont à la campagne où il a réussi à les faire évacuer. Il retrouve sa maitresse, il la découvre physiquement autre, et se surprend à lui prêter les plus mauvaises intentions. Mais cependant, malgré toute sa méfiance, après l'horreur de la guerre, il se laisse aller à cette rencontre avec l'humain, avec la femme, qui représente le monde de la paix.

"La lune dans l'eau" : une jeune femme amoureuse de son mari jusque dans la mort, au delà de la mort évoque sa vie avec lui durant la maladie, ce qu'elle fit pour lui être agréable ... elle évoque aussi son remariage et la différence entre les deux hommes. Entre le premier où elle s'éveillait à un amour de conte de fée, et au second qui la rendit femme ... qui l'ouvrit à elle-même.


Ce que j'en ai pensé :


Ce recueil donne un éventail de nouvelles différentes les unes des autres. Ce qui est bien, comme cela nous n'avons pas l'impression de relire sans cesse la même histoire.

Ce qui est intéressant dans ces nouvelles, c'est qu'elles sont comme des photographies d'humains à un moment donné de leur vie. Pas toute leur vie, mais juste un moment qui les a fait réfléchir, qui les a troublé, qui a peut-etre remis en cause leur manière de vivre.


J'ai eu une nette préférence pour "Bestiaire" et "Retrouvailles".

Pour "Bestiaire", le rapport que cet homme entretient avec les oiseaux, les bêtes, et sans aucun doute, les relations telles qu'il les conçoit avec ces congénères, mais ce qui n'est pas. Tout ce qu'il aimerait trouver dans l'humain, mais qui n'est pas, il a finit par le reproduire dans ses relations avec les animaux.
J'ai aimé quand il explique qu'il a tenté d'élever des paons mais que ceux ci ne se sont pas plu avec lui, alors, plutot que de s'acharner, il a renoncé, et s'est tourné vers d'autres volatiles. J'aime cette lucidité. Aujourd'hui, je dis que je ne force personne à m'aimer, je ne veux pas qu'on m'aime à tout prix, je ne veux pas qu'on m'aime à n'importe quel prix. Il y a des gens qui m'aiment pour moi, tout entière, malgré mes travers, il y a ceux qui m'aiment bien mais qui se passent de moi quand ils n'en ont l'utilité et ceux qui ne m'aiment pas ... pour les deux derniers ... cela ne me touche pas ... je m'en moque ... je ne vais pas utiliser de l'énergie pour des gens qui ne veulent pas de moi, car c'est de l'énergie que je vole à ceux qui m'aiment. Et lui, c'est pareil, pourquoi va t il s'accharner à élever des volatiles qui ne se plaisent pas chez lui, alors ... qu'il peut élever d'autres oiseaux qui pourraient se plaire avec lui.
Pourtant, j'ai trouvé cela bien triste et rassurant, car cet homme a trouvé un compromis avec la vie ... l'affection qu'il ne peut donner à des humains, il le donne à des animaux.
Cependant une question m'a interrogée ... a-t-il vraiment envie de nouer des relations avec des humains ? je veux dire de vraies relations ... n'a-t-il pas peur de donner à un humain ... ? la peur de la déception ... de ne pas avoir un retour ...


Pour "Retrouvailles", l'homme retrouve Tokyo après la guerre. C'est presque par hasard qu'il retrouve sa maitresse, du temps d'avant. Il a un regard très distancié sur elle. On ne dirait pas qu'il est heureux de retrouver un visage connu, un visage qu'il a aimé. On sent la méfiance, la crainte, la distance aussi. L'homme a été abimé dans son humanité durant cette guerre. il a probablement vu des choses qui l'on rendu insensible en surface.
Il est intéressant de voir que même s'il se méfie de cette femme, que jadis, il a aimé, qu'il a choyé, en cachette de sa femme (on comprend que la jeune femme est une geisha et qu'il en était le protecteur), il ne peut s'empêcher de la suivre, de rester avec elle.
Un besoin d'humanité après l'horreur, que la méfiance qu'il a, ne parvient pas à le faire fuir.
Une vision de ce qu'on put vivre de nombreux hommes revenus de la guerre.


Citations :

- Elle est bien terre à terre et plate, la vision de l'autre monde que les Occidentaux décrivent, fût-ce par la plume d'un Swedenborg ou d'un Dante, au regard de celui que les textes sacrés bouddhiques peuplent de bouddhas. Je dois reconnaître que, même en Orient, un Confucius rejette l'au-delà, disant :"J'ignore tout de la vie, que saurais-je de la mort ?" - mais moi, je trouve dans les visions du monde antérieur et du monde à venir que nous propose le bouddhisme, le plus vibrant, le plus consolant des poèmes élégiaques. [Elégie]

- Un soir l'oiselier en avait apporté deux. Lui, tout de suite, les avait posés sur l'autel familial, dans la pénombre. Au bout d'un moment, il les regarda : les oiseaux dormaient l'un contre l'autre, têtes et plumes emmêlées, attendrissants, fondus sans que l'oeil puisse les distinguer, en une boule d'aspect laineux. Lui, le célibataire frisant la quarantaine, sentit une émotion, une sorte de nostalgie l'étreindre. Debout, il les contempla longuement.
Où, en quel pays, trouverait-on chez les humains pareil couple d'amoureux candides, dormant avec tant de grâce, se demandait-il, regrettant qu'il ne se trouvât personne à son côté, pour contempler ce sommeil d'oiseaux ... mais il n'appela pas la domestique. [Bestiaire]

- Nul être humain ne pouvait lui inspirer de sentiments analogues. Les oiseaux, animés parce qu'ils vivent, expriment mieux encore le miracle de la nature que les coquillages ou les fleurs, malgré toute leur beauté. Même dans les cages qui les emprisonnent, ces petits créatures extériorisent leur joie de vivre, et c'était surtout vrai du couple de roitelets, si menus, si vifs. [Bestiaire]

- L'oiselier apporte de la montagne le nid tout entier, mais quand il parvient à les distinguer, il jette les femelles, invendables parce qu'elles ne chantent pas. L'amour des animaux devient facilement une prédilection pour les plus beaux, ce qui rend les cruautés de ce genre presque inévitables. [Bestiaire]

- Prenons les chiens, par exemple : après avoir eu des colleyx, on continue de préférence avec la même race, comme on aime les femmes qui vous rappellent votre premier amour, au point de vouloir, pour finir, en épouser une qui ressemble à celle qu'on a perdue. Tout les animaux, c'est aimer seul, dans un libre orgueil. Il cessa d'élever des paons. [Bestiaire]

- Yuzo frissonna, mais Fujiko s'expliquait d'une petite voix modeste :"Je m'inquiétais pour elle. Et pourquoi donc moi, qui courais alors de si grands dangers, me souciais-je de votre femme ? Je me trouvais idiote, mais cela n'y changeait rien. Je me disais : après la guerre, quand je pourrai le rencontrer, j'aimerais le voir rien que pour lui raconter cette pensée que j'ai eue. Je me demandais si vous me croiriez, ou si vous resteriez sceptique ... Il est vrai, pourtant, que pendant la guerre j'ai oublié mes soucis et prié pour les autres. "
Cela rappelait à Yuzo ce qu'il avait aussi ressenti : que l'extrême abnégation et l'extrême égoïsme se confondaient parfois, en un curieux mélange : de la critique de soi-même à la fatuité, de l'altruisme à l'exclusif souci de ses intérêts, de la bienveillance à la méchanceté, de la torpeur à l'excitation. Fujiko, tout en espérant la mort accidentelle de sa rivale, avait pu néanmoins prier pour sa sauvegarde; rester ensuite fascinée par sa propre bonté de coeur, et bien inconstant ne voir là qu'une des facettes de la vie, qu'une suspension de l'être en temps de guerre ? [Retrouvailles]


Du même auteur : Les belles endormies.


Estampe Reading Beauty
de Utamaro Kitagawa.
 
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10 janvier 2008 4 10 /01 /janvier /2008 00:38
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Le livre :

Un homme : japonais. Une femme : française. Une ville : Hiroshima.Un souvenir de ville : Nevers.
Elle est là pour tourner un film sur la paix, parce qu'à Hiroshima, ce ne peut être que sur la paix.
Il habite Hiroshima.
Ils se rencontrent. Ils s'aiment.
Elle retrouve en lui l'amour qu'elle a donné à un allemand. Un amour pour lequel elle a été tondue au sortir de la guerre. Un amour impossible. Mort. Un amour qui fait écho à celui qu'elle vit de nouveau.

Ce que j'en ai pensé :

J'ai été fascinée. J'étais hantée par L'amant, la voix de Jeanne Moreaux. Et puis, j'ai lu ... les explications de Marguerite Duras au début du livre ... et puis les dialogues entre coupés d'indication de mise en scène ... et les explications sur certaines scènes.
Ce n'est pas la voix de Jeanne Moreaux que j'entendais, en lisant, mais c'est bien la voix d'une femme. Une voix emprunte de douceur, une voix qui connaît l'amour, qui en connaît ses turpitudes, ses souffrances, ses impossibilités, et surtout son caractère éternel ... malgré son impossibilité.

Un huis clos, presque. Un homme. Une femme. Deux histoires qui se rencontrent.

Lui l'aime, la désire, la possède ... et l'amène à lui dire l'indicible ... à lui raconter ses peurs, à lui raconter son amour allemand ... la mort de son amour allemand ... le soi disant déshonneur d'avoir eu un amour allemand ... la tonte ... l'envoi à Paris ... et la vie en oubliant Nevers, la cave ... et la vie avec un mari qui ignore, des enfants qui ignorent ...
et lui qui sait maintenant. Lui qui comprend. Lui qui ne juge pas. Lui qui sait que les choses ne sont ni blanches ni noires ... que les choses ne sont jamais figées ... que les choses ne peuvent rien contre l'amour ... Lui qui l'aime ... Lui qui ne l'oubliera pas ... Lui qui n'arrivera pas à la retenir.

Elle. Elle d'abord légère. Elle libre de ses amours de passage. Elle finalement prise dans cet amour qui n'aura rien de passage. Elle qui comprendra que cet amour à la force de son amour allemand.
Elle si blessée dans sa chair ... si blessée par une société étriquée, coincée, bien pensante. Si impudique dans ses actes et pourtant si pudique dans son être.

Et puis la guerre ... et puis les villes ... et puis ...
La guerre qui déchaine les passions, la guerre qui tue ... les hommes qui tuent d'autres hommes ... les hommes qui haïssent ... les hommes qui aiment ... et les femmes qui aiment ... qui pleurent leur homme mort ... et l'incompréhensition de certaines réactions ... et l'oubli ...

Laisser les choses pourrir au tout au fond. Tout bien enfouir et continuer à vivre ... loin pour elle ... Ici même pour lui.

La guerre exacerbe les passions parce qu'on ne sait de quoi sera fait le lendemain ... on ignore l'avenir ... on espère ... alors peut-être a - t - on une soif de vie que l'on ne retrouve que dans des moments de "désespoir" ...
Et Hiroshima, la ville de tant d'innocents morts pour que la guerre cesse ... Hiroshima qui ne peut être que La représentation pour Elle, de ses amours impossibles ... impossibles et cependant éternelles.

Un livre qui m'a beaucoup ému et dont je n'ai cessé de me demander ... et le film ... comment il est le film ... retranscrit-il l'émotion ... ?

Citations :

    - Les conditions de leur rencontre ne seront pas éclaircies dans le film. Car ce n'est pas là question. On  se rencontre partout dans le monde. Ce qui importe, c'est ce qui s'ensuit de ces rencontres quotidiennes.

    - On peut parler de Hiroshima partout, même dans un lit d'hôtel, au cours d'amours de rencontre, d'amours adultères. Les deux corps héros, réellement épris, nous le rappelleront. Ce qui est vraiment sacrilège, si sacrilège il y a, c'est Hiroshima même. Ce n'est pas la peine d'être hypocrite et de déplacer la question.

    - Elle

[J'ai l'honneur d'avoir été déshonnorée. Le rasoir sur la tête, on a, de la bêtise, une intelligence extraordinaire ...]
Je désire avoir vécu cet instant-là. Cet incomparable instant.

- Elle

Elle a eu à Nevers un amour de jeunesse allemand ...
Nous irons en Bavière, mon amour, et nous nous marierons.
Elle n'est jamais allée en Bavière. (Elle se regarde dans la glace)
Que ceux qui ne sont jamais allés en Bavière osent lui parler de l'amour.
Tu n'étais pas tout à fait mort.
J'ai raconté notre histoire.
Je t'ai trompé ce soir avec cet inconnu.
J'ai raconté notre histoire.
Elle était, vois-tu, racontable.
Quatorze ans que je n'avais pas retrouvé ... le goût d'un amour impossible.
Depuis Nevers.
Regarde comme je t'oublie ...
    - Regarde comme je t'ai oublié.
Regarde-moi


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8 janvier 2008 2 08 /01 /janvier /2008 05:14
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Le livre :

Trois nouvelles où les chats ont leur importance, trois poèmes sur les chats et un essai sur les chats et l'importance de leur place dans une vie.

La première nouvelle : Le chat de la famille rapporte dans le salon un paire de doigts avec une alliance. Les habitants de la maisonnet vont alors entreprendre une petite enquête pour savoir à qui appartiennent ces doigts. Un meutre, une histoire d'adultère ... et le chat qui a trouvé une preuve ...

La deuxième nouvelle : Un chat a été adopté très jeune par une jeune femme. Il lui voue un amour sans faille et la réciproque est vraie. Il n'aime rien tant que d'être seul avec sa maîtresse. Seulement il doit faire avec l'amant de celle-ci qui ne pense qu'à le faire disparaître.

La troisième nouvelle : Un homme et une femme mariés depuis 7 ans. Sans enfant. La femme croit voir un drôle d'animal. Au début, son mari se moque d'elle, jusqu'à ce qu'à son tour, il aperçoive l'étrange bestiole. Ils décident alors d'emprunter la chatte d'un collègue pour chasser l'intru. Un matin, ils se lèvent et le chat a tué le drôle d'animal. Pourtant, l'homme comme la femme se trouvent mal à l'aise. La mort de l'animal inconnu les a renvoyé à leur culpabilité intérieur ...

Ce que j'en ai pensé :

J'ai moins aimé la première nouvelle ... sans doute à cause de la fin.

Par contre, j'ai trouvé que la deuxième était parfaite dans le sens où elle montrait à merveille les relations d'un chat et de son maître / maîtresse. Le chat est sans doute l'animal le plus intuitif que je connaisse. Mais, comme chez les hommes, tous les chats n'ont pas le même caractère. Et si leur instinct de possession se trouvait décuplé quand ils se sentent en danger dans la place qui est la leur ?

Je vois avec Ania. Quand à la maison, il y a eu Vicky, la chienne King Charles de ma marraine, Ania se mettait sur le lit de notre chambre, toujours pour surplomber la chienne ... être toujours en position de domination, alors que Vicky ne voulait que jouer (elle était encore un bébé à l'époque). Quand Lisa a eu ses cochons d'Inde il y a moins d'un an, on s'est demandé comment Ania réagirait. Mais comme elle est plus grande qu'eux, elle les domine ... Au début, elle passait à côté de la cage, les regardait et passait son chemin. Maintenant, ils sont là, elle est là ... elle ne s'intéresse pas à eux. A savoir que la cage des cochons d'Inde est souvent ouverte ... ils ne l'intéressent pas.

La troisième nouvelle est beaucoup plus dérangeante car elle fait appel à nos "cadavres dans le placard". Vous savez ces petits trucs que nous faisons par pur égoïsme et qui nous reste, dont nous ne sommes pas fiers et qui restent là, tapis dans un creux de notre mémoire, qu'il suffit de peu pour nous les remettre en pleine face. Soi avec soi.


Un livre bien agréable à lire. L'utilisation du chat dans des histoires différentes, surprenantes.

Citations :

- Les chats offrent aux écrivains quelque chose que les êtres humains ne savent pas offrir : une compagnie qui n'est ni revendicative, ni dérangeante, et qui est aussi apaisante et changeante qu'une mer très calme.


Merci Mon Jean-Yves !

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2 janvier 2008 3 02 /01 /janvier /2008 00:55
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Le livre :

Joseph aime Clara. Clara aime Joseph. Un soir, en rentrant, Clara trouve Joseph pendu dans le salon. Clara culpabilise, parce qu'elle n'aimait pas laisser Joseph seul, cela l'angoissait, l'idée qu'elle pourrait ne plus revenir. Clara ne crie pas. Clara repense aux années d'avant. Clara repense au moment où ils étaient séparés parce qu'elle avait besoin de réfléchir sur eux, sur ce qu'elle voulait. Clara revit le moment de leurs retrouvailles. Et puis, il faut prendre une décision ...

Ce que j'en ai pensé :

Pourquoi Zéro tués ? Parce que "OK" signifie O Killed ...

L'écriture du livre, la manière dont l'auteur a choisi de construire son histoire apporte la légereté, la douceur de cette histoire dramatique qui commence mal et finit mal. Nous sommes loin des clichés larmoyants, nous sommes dans la totale pudeur des sentiments, des petits riens qui font les grands sentiments.

On ouvre le livre sur le suicide de Joseph, sa confrontation avec un Dieu qui prétend que le seul moyen de sauver l'humanité, c'est de se suicider ... parce que chaque mort involontaire revient sur terre ... et l'horreur peut donc recommencer. Un hymne au suicide ... non ... une autre vision de voir les choses, et de comprendre le suicide ... sans doute.

Clara n'a pas de colère contre le geste de Joseph. Clara aime Joseph, même mort. Sa manière d'agir après sa découverte ne m'a pas paru étrange. Pas de cris. De la pudeur. Elle ne cherche même pas à comprendre pourquoi il l'a quittée de manière si brutale. Elle repense au moment où des années avant, elle était partie, parce qu'elle doutait de pouvoir vivre la vie qu'elle souhaitait avec Joseph. Elle repense à la journée de leurs retrouvailles ...

Cette journée de retrouvailles, nous la voyons sous cinq angles différents : Joseph, Clara, Andrès, Françoise et Shakespeare, le chat. Chacun a vécu ses retrouvailles de son point de vue, mais en n'oubliant jamais que l'important c'est d'être bien et heureux, de ne rien faire qui ne soit SOI ...

Il est important de revenir sur ses retrouvailles, sur la décision de Clara de revenir auprès de Joseph. Pour certains d'entre nous, l'amour de l'autre est une évidence, d'autres ont besoin d'être rassuré, même si au fond d'eux, ils savent aussi. Nous n'avançons pas tous sur le même temps, le même rythme ... alors il faut savoir attendre l'autre ... et il faut parfois savoir aussi accéler son temps pour rejoindre l'autre. Il est illusoire de penser que dans un couple, tout est réglé sur du papier à musique. Nous savons que c'est faux ... un couple, c'est deux entités distinctes qui en forme une troisième ... parfois sur la même longueur d'ondes, parfois en décalage ... ce sont l'amour, la tendresse, les émotions, la communication et le respect (et tant dautres choses aussi) qui permettent de dépasser les fausses notes, de réaccorder parfois le temps ...

C'est parce que l'auteur nous montre ce moment qui a scellé le couple de Joseph et Clara que l'on peut comprendre la décision finale de Clara ...

Un hymne à l'amour, des émotions, de la pudeur, mais jamais du tragique, du dramatique dans ce livre qui commence mal et qui finit mal.

Allez le lire ... il ne fait que 184 pages ...


Citations :

- [Joseph s'est suicidé, il se retrouve auprès de Dieu]

    -"Je ne m'attendais pas à ça.
    - Pourquoi ?
    - Là-bas, ils disent que c'est la pire des fautes ...
    - Je sais. C'est sans doute pour cela que vous êtes encore si peu.
    - Nous ?
    - Oui.
    - Nous, qui ?
    - Les suicidés", dit Dieu.

- [Joseph discute toujours avec Dieu]
    - Je vous perfectionne. Depuis des millénaires, je vous perfectionne.
    - Excusez-moi, mais ce qui se passe en bas, c'est loin d'être de la perfection.
   - Non, pas en bas. Ici. Je ne suis pas parfait, mais je ne suis pas mauvais. Je ne peux pas vous tuer. Il faut que vous renonciez vous-mêmes à cette vie que j'ai créée.
    - Et tout ceux qui meurent, je veux dire sans le vouloir, toutes ces horreurs ! Tu n'appelles pas ça les tuer ?
    - Non. Et c'est peut-etre la seule chose qui t'aidera à me pardonner. Depuis votre création, aucun d'entre vous n'est mort. J'ai compris trop tard ce qui allait se passer, j'ai laissé faire et n'ai accueilli ici que ceux qui n'acceptaient pas. les autres, ceux qui, comme tu dis, meurent sans le vouloir, ne meurent pas, je les renvoie là-bas. Autant de fois qu'il le faut, jusqu'à ce qu'ils comprennent. Depuis des millénaires, j'attends que vous ayez compris.
    - Tu te fous de ma gueule ?

- [Joseph écrit ... de son vivant]

"Non qu'il crût qu'une fois cuite, elle pût la remplacer, mais plus simplement, plus intelligemment aussi, parce qu'il avait faim.
Parce que ça avait toujours été comme ça, déjà lorsqu'ils étaient ensemble. Dès qu'elle partait travailler ou se promener ou faire du yoga, ou toutes ces choses qu'elle faisait, dès qu'elle partait, dès qu'elle le quittait, dès qu'elle n'était plus avec lui, il avait faim. Son absence lui laissait systématiquement un creux dans le ventre que seule la nourriture pouvait combler, rendait supportable.

- "Pourquoi tu ne fais pas ceci ? ... Pourquoi tu ne fais pas cela ? ..."
    - Et tu leur réponds quoi ?
    - Non. Je réponds non ... Depuis que j'ai découvert qu'on pouvait répondre "Non" à "Pourquoi ?" sans que les gens s'énervent de trop, je m'en sers assez souvent.






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23 décembre 2007 7 23 /12 /décembre /2007 00:47
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Le livre :

D'un côté Daniel I, à notre époque, nous livre sa vie, le livre de sa vie. Parallèlement, Daniel 24puis Daniel 25 nous donnent leurs impressions sur leur vie de néo-humain par rapport à ce qu'ils connaissent de la vie de Daniel 1, l'humain, celui qui est leur ancètre, celui dont ils sont les clones ...


Ce que j'en ai pensé :

Je ne m'attendais pas du tout à ça. J'avais entendu des choses, parci par là ... et le quatrième de couverture Qui parmi vous, mérite la vie éternelle ? Et bien, la réponse n'est pas dans le livre. Je crois que personne ne mérite la vie éternelle, un fardeau bien trop lourd à porter ...

J'avais lu Plateforme, et j'avais beaucoup aimé.
Là, c'est différent. Ce livre n'est pas très otpimiste sur la nature humaine, sur son évolution et finalement sur sa perte.

Beaucoup de thèmes abordés, et l'importance de l'écriture. Difficile de savoir par où commencer pour vous expliquer mon sentiment car j'avoue rester perplexe devant le foisonnement. Aborder les thèmes ? L'écriture ? Le tout ?

D'un côté nous avons Daniel, l'humain et de l'autre, Daniel 24 puis Daniel 25, ses clônes néo-humains.

Daniel nous livre sa vie, ses peurs, ses constatations. J'ai la douloureuse sensation qu'il a cherché et qu'il n'a pas trouvé, alors, il a vécu ce qu'il pouvait, pris ce qui passait sans réelles convictions.
De sa femme, Isabelle, dont il n'aura pas d'enfant, qui fera tout pour qu'il parte quand l'âge marquera son corps et qui se suicidera devant la déchéance physique ... d'Esther, la jeunesse même, la beauté intemporelle qui lui fait connaître ce qu'il pense être l'amour véritable, qui le fait jouir ... il prend, vit ... peut-être.
Des rencontres au hasard le mène dans la secte de Elohim, une sorte de Raël, persuadé que la sauvegarde de l'humanité est dans le clônage humain, où l'individualité, l'absence de manque, de désir, de sexe est la clé. Daniel se laisse prendre dans cette secte, pourtant à aucun moment il n'adhère. Il se trouve là, regarde, observe. Il est témoin et finit par s'impliquer. Son implication sera de deux ordres. Il acceptera que l'on prélève sa carte génétique pour être clôné, et il écrira son histoire, un témoignage de sa propre vie, qui inclus l'évolution de la secte.
Daniel a vécu sa vie en passant, sans jamais s'impliquer réellement. Il a vécu sa vie comme s'il s'était regardé vivre. Il semble n'avoir eu qu'un seul regret, ne pas avoir trouvé l'amour véritable, sa moitié qui aurait rendu son individualisme moins individuel et sa solitude, moins solitaire.

Le récit de la vie de Daniel 1 est entrecoupé des récits de Daniel 24 d'abord, puis Daniel 25. Grâce à eux, on découvre que l'humain n'a pas été exterminé, mais que ses actes l'ont conduit à détruire quasi tout ce qui le constituait. On découvre aussi, que l'humain est redevenu à l'état sauvage, gardant comme instinct, le mal et le sexe (fin du roman avec la vie de Daniel 25). On découvre aussi que les Néo-humains, c'est à dire, les clônes des humains, ont accès à la vie de leurs ancètres, en tout cas, de ceux qui ont fait le récit de leur vie. Houellebecq en profite pour nous montrer que deux personnes peuvent vivre les mêmes faits maîs investi de sentiments complètement différents à travers l'histoire de Daniel I et Esther. Alors que lui revit grâce à elle, vit une sexualité avec elle qu'il n'a jamais connu avant, elle montre dans son récit de vie une tiédeur à son encontre.

Finalement, Houellebecq nous montre un homme qui a tout eu pour être heureux et qui ne l'a pas été,  pour cause d'un manque d'amour évident. Il nous montre ce que serait l'humanité avec des clones sans sexualité, sans décision à prendre, dont la vie serait une suite d'actes préprogrammés.
Daniel 25 montre ce contrast, il découvre la vie, la vie humaine ... les odeurs, les sensations, les sentiments ... il découvre les choix, les décisions ...

Un livre très pessimiste sur l'humain, sur sa façon de vivre ou plutôt de ne pas vivre, de faire semblant de vivre. Où la seule solution serait de ne plus se reproduire.



Citations :

- "Les femmes donnent une impression d'éternité, avec leur chatte branchée sur les mystères - comme s'il agissait d'un tunnel ouvrant sur l'essence du monde, alors qu'il ne s'agit que d'un trou à nains tombé en désuétude. Si elles peuvent donner cette impression, tant mieux pour elle ; ma parole est compatissante."

- "La mer a disparu, et la mémoire des vagues. Nous disposons de documents sonores, et visuels ; aucun ne nous permet de ressentir vraiment cette fascination têtue qui emplissait l'homme, tant de poèmes en témpoignent, devant le spectacle apparemment répétitif de l'océan s'écrasant sur le sable."

- "Ce qui m'insupportait de plus en plus, ce n'était même pas mon visage, même pas le caractère répétitif et convenu de certaines mimiques standard que j'étais bien obligé d'employer : ce que je ne parvenais plus à supporter c'était le rire, le rire en lui-même, cette subite et violente distorsion des traits qui déforme la face humaine, qui la dépouille en un instant de toute dignité. Si l'homme rit, s'il est le seul, parmi le règne animal, à exhiber cette attroce déformation faciale, c'est également qu'il est le seul, dépassant l'égoïsme de la nature animale, à avoir atteint le stade infernal et suprême de la cruauté."

- "A tout observateur impartial en tout cas il apparaît que l'individu humain ne peut pas être heureux, qu'il n'est en aucune manière conçu pour le bonheur, et que sa seule destinée possible est de propager le malheur autour de lui en rendant l'existence des autres aussi intolérable que l'est la sienne propre - ses premières victimes étant généralement ses parents."

- "Le seul projet de l'humanité c'est de se reproduire, de continuer l'espèce. Cet objectif a beau être de toute évidence insignifiante, elle le poursuit avec un acharnement effroyable. Les hommes ont beau être malheureux, atrocement malheureux, ils s'opposent de toutes leurs forces à ce qui pourrait changer leur sort ; ils veulent des enfants, et des enfants semblables à eux, afin de creuser leur propre tombe et de perpétuer les conditions du malheur. Lorsqu'on leur propose d'accomplir une mutation, d'avancer sur un autre chemin, il faut s'attendre  des réactions de rejet féroces."

- "Quand donc un homme, qu'il soit porté sur les garçons ou sur les femmes, rencontre celui-là même qui est sa moitié, c'est un prodigue que les transports de tendresse, de confiance et d'amour dont ils sont saisis ; ils ne voudraient plus se séparer, ne fût-ce qu'un instant. Et voilà les gens qui passent toute leur vie ensemble, sans pouvoir dire d'ailleurs ce qu'ils attendent l'un de l'autre ; car il ne semble pas que ce soit uniquement le plaisir des sens qui leur fasse trouver tant de charme dans la compagnie de l'autre. Il est évident que leur âme à tous les deux désire autre chose, qu'elle ne peut dire, mais qu'elle devine, et laisse deviner." Discours d'Aristophane dans Le Banquet de Platon.











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30 novembre 2007 5 30 /11 /novembre /2007 01:15
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Le livre :

Eguchi a 67 ans. La société le considère déjà comme un vieillard. Et surtout au niveau de sa virilité. Alors qu'il a toujours eu une vie amoureuse remplie, à l'aube de sa vieillesse, un de ses amis lui parle d'une maison où les hommes vieux viennent dormir auprès de très jeunes femmes que l'on a plongé dans un sommeil artificiel.
A chaque fois qu'Eguchi vient dormir auprès d'une "belle endormie", un détail de la jeune fille le renvoie à son passé érotique, sensuel, sexuel.


Ce que j'en ai pensé :

C'est avec beaucoup de pudeur et de sensibilité que Yasunari Kawabata évoque, à travers le vieil Eguchi, l'homme vieillissant dans sa sexualité. Car, bien que le mot ne soit jamais prononcé, il s'agit bien de cela. Parler de ces hommes vieillissants qui n'ont plus l'habileté, l'endurance de satisfaire une femme, parler de ces hommes à la virilité déclinante voire perdue.
Les vieux hommes se rendent dans cette mystérieuse maison pour dormir auprès de jeunes femmes. Même si on pourrait les considérer comme des prostituées, il faut savoir que les nuits qu'elles passent avec ses hommes vieillissants, elles ignorent ce qui arrivent, pour la simple raison qu'elles ont été endormies, et que rien ne peut les tirer du sommeil.
On pourrait imaginer que les hommes profitent d'elles pour leur faire l'amour. Mais il n'en est rien. Ces jeunes filles sont vierges, et le restent. Ces hommes se contentent de les regarder, de les sentir, de les caresser, et de s'endormir dans leurs bras ou à leurs côtés.

Ce qui est intéressant, c'est que Eguchi, qui n'a que 67 ans, n'est pas encore un vieillard a la virilité perdue. S'il revient dans cette maison mystérieuse, dormir auprès de belles endormies, c'est qu'il s'interroge sur sa virilité qui va peu à peu décliner. Il a le désir d'avoir une véritable relation physique avec ces jeunes femmes, une relation d'égale à égale. Le fait qu'elles dorment et que rien ne peut les réveiller le frustre énormément car il n'y a pas de partage. C'est bien là le plaisir d'une relation érotique, sensuelle, le partage. Dans ce cas, qu'est-ce sinon une simple histoire de mécanisme de soulagement physique.

Chaque fois qu'Eguchi dort avec une des belles endormies, celle-ci le renvoie à une femme de son passé ... que ce soit par les odeurs, par les rondeurs, par la douceur ... un détail le renvoie à son histoire avec les femmes. Une remontée dans le temps sur ce qui a été et qui ne sera plus.

Un moyen pour lui de faire le bilan de ce qu'a été sa vie d'homme sexué, avant qu'il ne doive accepter qu'un jour, sa virilité l'aura abandonné.

Un livre simple et émouvant sur un sujet pas forcément facile à traiter.

Citations :


    - "Ce qui l'avait fait agir ainsi, c'était une émotion surgie du plus profond de son être et qui le portait vers cette fille. Qu'elle fût endormie, qu'elle ne parla point, qu'elle ignorât jusqu'au visage et à la voix du vieil homme, bref qu'elle fût là comme elle l'était, totalement indifférente à l'être humain du nom d'Eguchi qui était là en face d'elle, tout cela lui était subitement devenu insupportable."

    - "Le vieillard se demandait distraitement comment il avait pu se faire que le sein de la femelle humaine, seule parmi les animaux, avait au terme d'une longue évolution, pris une forme si belle. La beauté atteinte par les seins de la femme n'était-elle point la gloire la plus resplendissante de l'évolution de l'humanité."

    - "La fille était effarouchée et pourtant elle lui avait permis sans fausse honte de la regarder ; peut-être était-ce dans sa nature, mais elle-même ignorait probablement la propre beauté. Car elle lui était invisible."

    - "Ce qui lui revenait à l'esprit, c'étaient les femmes de ce passé. Et ce que le vieillard se complaisait à évoquer, ce n'étaient ni la durée, brève ou longue, de ses relations avec elles ni leur beauté ou leur laideur, ni leur esprit ou leur sottise, ni leur distinction ou leur vulgarité, ni rien de ce genre. C'étaient des femmes comme par exemple la femme mariée de Kobe qui aurait dit ; "Ah, j'ai dormi d'un sommeil de mort ! Vraiment d'un sommeil de mort !"
C'étaient des femmes qui, à ses caresses, avaient répondu de toute leur sensibilité en s'oubliant elles-mêmes, qui avaient déliré, inconscientes de plaisir. Ces choses-là, plus que de la profondeur de l'amour d'une femme, témoignent sans doute de dispositions innées."



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Littérature japonaise :

Le fusil de chasse, Les yeux bruns, La danseuse.Mémoire d'une Geisha.


Les illustrations sont de Kitagawa Utamaro.
Courtisane du Yoshiwara.
1795.
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27 novembre 2007 2 27 /11 /novembre /2007 00:40
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Le livre :

Monsieur Linh quitte son pays (l'Indochine ou le Vietnam) avec sa petite fille âgée de quelques semaines seulement. Son fils et sa belle-fille ont été tués lors d'un bombardement alors qu'ils étaient dans les rizières.
Après un voyage en bateau de plusieurs semaines jusqu'en pays d'accueil (la France ou les USA), Monsieur Linh arrive dans un pays qu'il ne connaît pas, dont il ne ressent rien. Il se raccroche à sa petite fille pour ne pas se laisser aller.
Alors que les autres réfugiés se moquent de lui, Monsieur Linh va chaque jour marcher avec la petite fille, Sang Diû, dans ses bras. Il s'asseoit sur un banc. Toujours le même. Un jour, un gros homme qui fume beaucoup s'asseoit à ses côtés, et se met à lui parler. Même si les deux hommes ne parlent pas la même langue, une amitié se lie entre eux.
Monsieur Bark devient alors le point d'ancrage de Monsieur Linh dans ce nouveau pays où tout est désormais à refaire pour lui.

 Ce que j'en ai pensé :

Monsieur Linh est un homme déraciné, sans repère dans un pays qu'il ne connaît pas, avec une langue qu'il ne connaît pas.
Il se raccroche à sa petite fille. Chacun de ses gestes est fait pour elle. Des choses aussi simples que manger, dormir, prendre l'air.

Monsieur Linh ne peut s'empêcher de penser à sa vie d'avant puisque c'est tout ce qui lui reste. Sa petite Sang Diû, fille de son fils, décédé avec son épouse dans le bombardement.
Le sachet de terre du pays pour ne pas oublier d'où ils viennent.
La photographie de sa défunte épouse.
Ces trois choses qui sont la mémoire de Monsieur Linh, la mémoire des choses importantes dans sa vie.

Ce pays d'accueil est vierge d'odeur pour lui. De saveur aussi. Tout est à apprendre, à découvrir.

C'est un homme, Monsieur Bark, qui va être le lien entre le monde d'avant et le monde de maintenant pour Monsieur Linh.

Monsieur Bark a perdu sa femme. Il vit dans le souvenir de celle-ci. Sans enfant, il est désormais seul. Monsieur Linh va être pour lui, le lien avec le monde des vivants, une nouvelle raison de vivre.

Ce livre tourne autour de la mémoire et du souvenir. C'est ce qui nous construit. C'est aussi ce qui nous ancre dans la vie. La mémoire, les souvenirs, les odeurs, les saveurs, sont des choses qui nous rassurent.

P. Claudel montre aussi que la langue peut-être une barrière pour la communication. Mais qu'au delà des mots, la sonnorité de la voix, la tonnalité sont des choses qui font passer des émotions au même titre que les mots eux-mêmes. C'est ce qui va lier Monsieur Linh et Monsieur Bark. La voix de Monsieur Bark qui raconte sa femme au vieil homme, réconforte celui-ci, lui donne de l'espoir. C'est la douceur de la voix qui fera que le vieil homme aura confiance dans le gros homme, qu'il saura qu'il est son ami. Il y a un échange entre les deux hommes qui est au-delà des mots, qui est dans les émotions qui passent entre eux, dans le partage, la générosité. Le besoin de prendre soin d'un autre perdu.

C'est la mémoire, ce sont les souvenirs qui vont lier les deux hommes. Ils vont se reconnaître parce qu'ils sont tous les deux dans un processus de mémoire. Ils vont se créer une mémoire commune.


Au fil du livre, les souvenirs d'avant laissent la place à leurs souvenirs en commun. Ensemble ils se créent un passé commun, des souvenirs en commun, pour avancer dans une nouvelle vie.

Les deux hommes vont tourner une page ensemble, et se créer une histoire ensemble.

Une très belle histoire d'amitié où la langue n'est plus une barrière, où la mémoire individuelle entraine une mémoire collective.
Un livre simple sur ce que l'on nomme "le processus de deuil".


Citations :

    - "Il se dit qu'il faut qu'il mange, qu'il prenne des forces, pour l'enfant sinon pour lui.
Il n'oubliera jamais la saveur muette de cette première soupe, avalée sans coeur, alors qu'il vient de débarquer, qu'au-dehors il fait si froid, et qu'au-dehors, ce n'est pas son pays, c'est un pays étrange et étranger, et qui le restera toujours pour lui, malgré le temps qui passera, malgré la distance toujours plus grande entre les souvenirs et le présent."


    - "Peut-être d'ailleurs aime-t-il entendre cette voix parce que précisément il ne peut comprendre les mots qu'elle prononce, et qu'ainsi il est sûr qu'ils ne le blesseront pas, qu'ils ne lui diront pas ce qu'il ne veut pas entendre, qu'ils ne se poseront pas de questions douloureuses, qu'ils ne viendront pas dans le passé pour l'exhumer avec violence et le jeter à ses pieds comme une dépouille sanglante."

    - "Grâce à Monsieur Bark, le pays nouveau a un visage, une façon de marcher, un poids, une fatigue et un sourire, un parfum aussi, celui de la fumée des cigarettes. Le gros homme a donné tout cela à Monsieur Linh, sans le savoir."

    - "Cette source n'est pas une source ordinaire, dit Monsieur Linh au gros homme. On raconte que son eau a le pouvoir de donner l'oubli à celui qui la boit, l'oublie des mauvaises choses. Lorsque l'un d'entre nous sait qu'il va mourir, il s'en va vers la source, seul. Tout le village sait où il va, mais personne ne l'accompagne. Il faut qu'il soit seul à faire le chemin, et seul à s'agenouiller ici. Il vient boire l'eau de la source et aussitôt qu'il l'a bue, sa mémoire devient légère : ne restent en elle que les jolis moments et les belles heures, tout ce qu'il y a de doux et d'heureux. Les autres souvenirs, ceux qui coupent, ceux qui blessent, ceux qui entaillent l'âme et la dévorent, tous ceux-là disparaissaient, dilués dans l'eau comme une goutte d'encre dans l'océan."


Les âmes grises, Philippe Claudel.



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22 novembre 2007 4 22 /11 /novembre /2007 01:18
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Le livre :

Décembre 1943, Milan, Primo Levi est arrêté comme résistant, puis déporté en février 44 à Auschwitz. Primo apprend les règles du Lager, il apprend que la Cheminée est le seul moyen de sortir du camp, il apprend que demain ne compte pas, seul aujourd'hui existe. Il apprend les règles des nazis mais aussi les règles des déportés.


Ce que j'en ai pensé :

Je recommence mon article. Mon premier jet était à mon sens trop personnel et pas assez axé sur Si c'est un homme.

Primo Levi nous livre, ici, ses mémoires de son "expérience", de son vécu au camps de concentration de Auschwitz, en Pologne. Il sera l'un des premiers à témoigner de son histoire de déporté, et ce, dès 1947, date à laquelle est publié son livre. Cependant, ce dernier ne connaîtra un véritable succès que dix ans plus tard.

Il y a peu Simone Veil sortait son livre Une vie. Elle-même, déportée à Auschwitz, parle de son vécu là-bas. Elle évoque aussi le retour. Lors d'une interview, S. Veil expliquait que lorsqu'elle était rentrée, les gens ne voulaient pas qu'elle parle de ce qu'elle avait vécu là-bas. Ils ne voulaient pas savoir, parce qu'il y avait ceux qui n'étaient pas revenus, parce qu'il fallait continuer à vivre, et oublier ...
Mais comment peut-on oublier ?

Primo Levi a eu besoin d'écrire son vécu au Lager, pour aussi le sortir de lui. Un besoin absolu de dire, pour se libérer.

Je pense que si Si c'est un homme n'a connu un succès que dix ans après sa parution, c'est sans doute à cause de ce refus des gens de parler de ce qui était arrivé.

J'ai trouvé dans ce livre, une vérité de ton. Il n'y a pas une volonté d'appitoyer le lecteur, mais juste une volonté de dire. Les faits, la réalité, le vécu ... Ce qui est différent des autres livres , des autres témoignages que j'ai pu lire sur la Shoah, c'est que Primo Levi ne montre pas seulement le processus de déshumanisation mis en place par les nazis (avec les règles, la hiérarchie, etc.), il montre aussi le comportement des déportés entre eux. Ce fut un choc pour moi, qui, très naïvement je suppose, avais toujours pensé que les déportés s'étaient serrés les coudes dans l'horreur.

Je savais qu'il y avait une hiérarchie (les assassins, les droits communs, les juifs ... à chacun son signe distinctif cousu à sa veste) ... mais j'ignorais qu'il y avait une hiérarchie au sein même des juifs. Un juif italien vaut moins qu'un juif polonais, etc.

J'ai été très surprise (pire que ça), de découvrir cette hiérarchie. Parce que je n'arrive pas à comprendre que des personnes, dont le seul but de leurs bourreaux est de les exterminer, puissent faire des différenciations aussi stupides à mon sens. Ne croyez pas que je les juge, j'ignore quel aurait été mon comportement à leur place.

En écrivant ces mots, je repense au journal d'Anne Frank. Je repense au regard que cette toute jeune fille portait sur les autres clandestins. Son regard était un regard d'instinct, de constat, mais pas un regard de hiérarchie.

Ce qui est terrible, c'est de constater que même aux portes de la mort, même dans l'enfer, alors qu'à priori, tous sont voués à finir "par la cheminée", on pense encore à se dépouiller, à être des hommes pas toujours très beaux du dedans.

Les derniers jours au Lager sont les plus terribles, à mon sens. Encore plus terrible que l'année que Primo Levi y a passé. Quand les nazis ont laissé le Lager d'Auschwitz, ils sont partis avec les valides, qu'ils ont tué en route. Ils n'ont laissé que les malades, les invalides, sans doute persuadés que d'ici à ce que les russes les découvrent ils seraient morts de faim, de soif, de froid, de la maladie, ou peut-être même sous les bombardements. La vie, ou plutot la survie durant ces jours est pire. J'ai pensé que Hitler avait réussi, il avait déshumanisé ces hommes, il en a fait des bêtes.
Les mots de Primo Levi sont saisissants parce qu'ils sont simples et sans fioriture. Ils disent et c'est tout.

Aujourd'hui, je pense que ceux qui sont sortis des camps de la mort, que ceux qui ont survécu à cette inhumanité, n'ont pas survécu parce qu'ils étaient les plus forts, ou les plus ceci ou cela. Je pense que ceux qui ont survécu à cette monstruosité humaine, ne le doivent qu'à leur destin. Ils ne devaient pas mourir là, leur vie était ailleurs et leur mort aussi.

A la lueur du livre de Primo Levi, je suis confortée dans l'idée que les choses qui doivent être, sont, et que ces choses ont toute une raison d'être, même les pires.

Je regrette que si la lettre de Guy Moquet soit une lecture obligée pour les jeunes en collège et lycée, ce livre ne le soit pas ...

Selon moi, l'oubli est le meilleur moyen de reproduire les actes.


Les citations de ce livre paraîtront prochainement.
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